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coup d’œil sur la ville de shangh-haï

boutons de sa robe, et un jeu de soixante-quatre cartes, représentant des figures de dieux, d’hommes ou d’animaux. Les Chinois de toute classe, généralement superstitieux, ne font point fi des prédictions du sien-cheng, qui, probablement, ne se prend pas au sérieux.

Sur un signe de Wang, celui-ci étala à terre un tapis de cotonnade, y déposa sa cage, tira son jeu de cartes, le battit et le disposa sur le tapis, de manière que les figures fussent invisibles.

La porte de la cage fut alors ouverte. Le petit oiseau sortit, choisit une des cartes, et rentra, après avoir reçu un grain de riz pour récompense.

Le sien-cheng retourna la carte. Elle portait une figure d’homme et une devise, écrite en kunan-runa, cette langue mandarine du Nord, langue officielle, qui est celle des gens instruits.

Et alors, s’adressant à Kin-Fo, le diseur de bonne aventure lui prédit ce que ses confrères de tous pays prédisent invariablement sans se compromettre, à savoir, qu’après quelque épreuve prochaine, il jouirait de dix mille années de bonheur.

« Une, répondit Kin-Fo, une seulement, et je te tiendrais quitte du reste ! »

Puis, il jeta à terre un taël d’argent, sur lequel le prophète se précipita comme un chien affamé sur un os à moelle. De pareilles aubaines ne lui étaient pas ordinaires.

Cela fait, Wang et son élève se dirigèrent vers la colonie française, le premier songeant à cette prédiction qui s’accordait avec ses propres théories sur le bonheur, le second sachant bien qu’aucune épreuve ne pouvait l’atteindre.

Ils passèrent ainsi devant le consulat de France, remontèrent jusqu’au ponceau jeté sur Yang-King-Pang, traversèrent le ruisseau, prirent obliquement à travers le territoire anglais, de manière à gagner le quai du port européen.

Midi sonnait alors. Les affaires, très actives pendant la matinée, cessèrent comme par enchantement. La journée commerciale était pour ainsi dire terminée, et le calme allait succéder au mouvement, même dans la ville anglaise, devenue chinoise sous ce rapport.

En ce moment, quelques navires étrangers arrivaient au port la plupart sous le pavillon du Royaume-Uni. Neuf sur dix, il faut bien le dire, sont chargés d’opium. Cette abrutissante substance, ce poison dont l’Angleterre encombre la Chine, produit un chiffre d’affaires qui dépasse deux cent soixante millions de francs et rapporte trois cents pour cent de bénéfice. En vain le gouvernement chinois a-t-il voulu empêcher l’importation de l’opium