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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

croissaient en abondance, ainsi que l’avoine et le trèfle. Anson fit semer des carottes, des laitues, planter des noyaux de prunes, d’abricots et de pêches. Il ne tarda pas à se rendre compte que le nombre des boucs et des chèvres, laissés par les boucaniers dans cette île et qui y avaient si merveilleusement multiplié, était bien diminué. Les Espagnols, pour enlever cette ressource précieuse à leurs ennemis, avaient débarqué quantité de chiens affamés qui firent la chasse aux chèvres et en dévorèrent un si grand nombre qu’il en restait à peine deux cents à cette époque.

Le chef d’escadre, — ainsi Anson est-il toujours appelé dans la relation du voyage, — fit reconnaître l’île de Mas-a-fuero, qui est éloignée de vingt-cinq lieues de Juan-Fernandez. Plus petite, elle est aussi plus boisée, mieux arrosée, et elle possédait plus de chèvres.

Au commencement de décembre, les équipages avaient pu reprendre assez de forces pour qu’Anson songeât à exécuter ses projets de faire la course contre les Espagnols. Il s’empara d’abord de plusieurs vaisseaux, chargés de marchandises précieuses et de lingots d’or, puis brûla la ville de Paita. Les Espagnols estimèrent leur perte en cette circonstance à un million et demi de piastres.

Anson se rendit ensuite à la baie de Quibo, près de Panama, afin de guetter le galion qui, tous les ans, apporte les richesses des Philippines à Acapulco. Là, si les Anglais n’aperçurent aucun habitant, ils trouvèrent, auprès de quelques misérables huttes, de grands amas de coquilles et de belle nacre, que les pêcheurs de Panama y laissent pendant l’été. Parmi les provisions abondantes en cet endroit, il faut citer les tortues franches, qui pèsent ordinairement deux cents livres, et dont la pêche se faisait d’une façon singulière. Lorsqu’on en voyait une flotter endormie à la surface de la mer, un bon nageur plongeait à quelques toises, remontait, et, saisissant l’écaille vers la queue, s’efforçait d’enfoncer la tortue. En se réveillant, celle-ci se débattait, et ce mouvement suffisait à la soutenir ainsi que l’homme, jusqu’à ce qu’une embarcation vînt les recueillir tous deux.

Après une vaine croisière, Anson dut se déterminer à brûler trois vaisseaux espagnols qu’il avait pris et armés. Leur équipage et leur chargement une fois répartis sur le Centurion et le Glocester, les deux seuls bâtiments qui lui restassent, Anson, le 6 mai 1742, résolut de gagner la Chine, où il espérait trouver des renforts et des rafraîchissements. Mais cette traversée, qu’il comptait faire en soixante jours, il lui fallut quatre mois pour l’accomplir. À la suite d’une violente tempête, le Glocester, coulant bas et ne pouvant plus être manœuvré par un équipage réduit, dut être brûlé. Seuls l’argent et les vivres furent transbordés