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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

tirer sur le voleur, qui fut abattu, et tous se jetèrent à la nage pour regagner la rive opposée.

Ces diverses tentatives, pour entrer en relations commerciales avec les naturels, étaient trop malheureuses pour que Cook y persévérât plus longtemps. Il résolut donc de chercher ailleurs une aiguade. Sur ces entrefaites, deux pirogues, qui tâchaient de regagner la côte, furent aperçues. Cook prit ses dispositions pour leur en couper le chemin. L’une échappa à force de rames, l’autre fut rattrapée, et, bien que Tupia criât aux naturels que les Anglais venaient en amis, ils saisirent leurs armes et commencèrent l’attaque. Une décharge en tua quatre, et les trois autres, qui s’étaient jetés à la mer, furent saisis malgré une vive résistance.

Les réflexions que ce fâcheux incident suggère à Cook sont trop à son honneur, elles sont en contradiction trop flagrante avec la manière de procéder alors en usage, pour que nous ne les rapportions pas textuellement.

« Je ne peux pas me dissimuler, dit-il, que toutes les âmes humaines et sensibles me blâmeront d’avoir fait tirer sur ces malheureux Indiens, et il me serait impossible de ne pas blâmer moi-même une telle violence, si je l’examinais de sang-froid. Sans doute, ils ne méritaient pas la mort pour avoir refusé de se fier à mes promesses et de venir à mon bord, quand même ils n’y eussent vu aucun danger ; mais la nature de ma commission m’obligeait à prendre connaissance de leur pays, et je ne pouvais le faire qu’en y pénétrant à force ouverte ou en obtenant la confiance et la bonne volonté des habitants. J’avais déjà tenté, sans succès, la voie des présents ; le désir d’éviter de nouvelles hostilités m’avait fait entreprendre d’en avoir quelques-uns à mon bord, comme l’unique moyen de les convaincre que, loin de vouloir leur faire aucun mal, nous étions disposés à leur être utiles. Jusque-là, mes intentions n’avaient certainement rien de criminel ; il est vrai que dans le combat, auquel je ne m’étais pas attendu, notre victoire eût pu être également complète sans ôter la vie à quatre de ces Indiens, mais il faut considérer que, dans une semblable situation, quand l’ordre de faire feu a été donné, on n’est plus le maître d’en prescrire ni d’en modérer les effets. »

Accueillis à bord avec toutes les démonstrations nécessaires, sinon pour leur faire oublier, du moins pour leur rendre moins pénible le souvenir de leur capture, comblés de présents, parés de bracelets et de colliers, on se disposait à débarquer ces naturels, lorsqu’ils déclarèrent, en voyant les bateaux se diriger vers l’embouchure de la rivière, que leurs ennemis habitaient en cet endroit et qu’ils seraient bientôt tués et mangés. Cependant, ils furent débarqués, et l’on eut lieu de penser que rien de fâcheux ne leur était advenu.

Le lendemain 11 octobre au matin, Cook quitta ce canton misérable. Il lui