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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

tira une grosse rançon, et captura plusieurs vaisseaux, qui lui fournirent plus de prisonniers que d’argent.

De toute cette partie de son voyage, dont nous n’avons pas à nous occuper, nous ne retiendrons que quelques détails sur l’île de la Gorgone, où il remarqua un singe à qui son excessive lenteur a fait donner le nom de « paresseux », sur Tecamez, dont les habitants, armés de flèches empoisonnées et de fusils, le repoussèrent avec perte, et sur les îles Galapagos, situées à deux degrés de latitude nord. Cet archipel est très nombreux, d’après Rodgers ; mais, de la cinquantaine d’îles qui le composent, il n’en trouva pas une seule qui fournît de l’eau douce. Il y vit en quantité des tourterelles, des tortues de terre et de mer d’une grosseur extraordinaire, — dont le nom a été donné par les Espagnols à ce groupe, — et des chiens marins extrêmement redoutables, dont l’un eut même l’audace de l’attaquer.

« J’étais sur le rivage, dit-il, lorsqu’il sortit de l’eau, la gueule béante, avec autant de vitesse et de férocité que le chien le plus furieux qui a rompu sa chaîne. Il m’attaqua trois fois. Je lui enfonçai ma pique dans la poitrine, et, chaque fois, je lui fis une large blessure qui l’obligea de se retirer avec d’horribles cris. Ensuite, se retournant vers moi, il s’arrêta pour gronder et me montrer les dents. Il n’y avait pas vingt-quatre heures qu’un homme de mon équipage avait failli être dévoré par un des mêmes animaux. »

Au mois de décembre, Rodgers se retira avec un galion de Manille, dont il s’était emparé, sur la côte de Californie, à Puerto-Seguro. Plusieurs de ses hommes s’enfoncèrent dans l’intérieur. Ils y virent quantité d’arbres de haute futaie, pas la moindre apparence de culture, et de nombreuses fumées qui indiquaient que le pays était peuplé.

« Les habitants, dit l’abbé Prévost dans son Histoire des Voyages, étaient d’une taille droite et puissante, mais beaucoup plus noirs qu’aucun des Indiens qu’il avait vus dans la mer du Sud. Ils avaient les cheveux longs, noirs et plats, qui leur pendaient jusqu’aux cuisses. Tous les hommes étaient nus, mais les femmes portaient des feuilles ou des morceaux d’une espèce d’étoffe qui en paraît composée, ou des peaux de bêtes et d’oiseaux… Quelques-uns portaient des colliers et des bracelets de brins de bois et de coquilles ; d’autres avaient au cou de petites baies rouges et des perles, qu’ils n’ont pas sans doute l’art de percer, puisqu’elles sont entaillées dans leur rondeur et liées l’une à l’autre avec un fil. Ils trouvaient cet ornement si beau, qu’ils refusaient les colliers de verre des Anglais. Leur passion n’était ardente que pour les couteaux et les instruments qui servent au travail. »