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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

Ce fut le 2 juin que Surville quitta cette dernière ville et se dirigea vers les Philippines. Il jeta l’ancre, le 20 août, aux îles Bashees ou Baschy. Dampier leur avait donné ce nom, qui est celui d’une boisson enivrante que les insulaires composaient avec du jus de canne à sucre, dans lequel on laissait infuser, pendant plusieurs jours, une certaine graine noire.

Quelques matelots de Dampier avaient autrefois déserté dans ces îles ; ils y avaient reçu des indigènes une femme, un champ et des instruments aratoires. Ce souvenir détermina trois matelots du Saint-Jean-Baptiste à suivre leur exemple. Mais Surville n’était pas homme à laisser s’émietter ainsi son équipage. Il fit donc saisir vingt-six Indiens, qu’il se proposait de retenir pour otages jusqu’à ce que ses hommes lui eussent été ramenés.

« Parmi ces Indiens qui étaient ainsi garrottés, dit Crozet dans la relation qu’il a publiée du voyage de Surville, il y en eut plusieurs qui eurent le courage de se précipiter dans la mer, et, au grand étonnement de l’équipage, ils eurent le courage et l’adresse de nager jusqu’à une de leurs pirogues, qui se tenait à une assez grande distance du vaisseau pour n’en avoir rien à redouter. »

On expliqua aux sauvages qu’on n’avait agi de la sorte avec eux que pour déterminer leurs camarades à ramener les trois déserteurs. Ils firent signe alors qu’ils comprenaient, et tous furent relâchés, à l’exception de six qui avaient été pris à terre. Leur hâte à quitter le vaisseau et à se jeter dans leurs pirogues ne rendait pas leur retour probable. Aussi fut-on fort surpris de les voir revenir peu de temps après avec des exclamations de joie. Le doute n’était plus possible, ce ne pouvaient être que les déserteurs qu’ils ramenaient au commandant. En effet, ils montèrent à bord et déposèrent liés, garrottés et ficelés,… trois superbes cochons !

Surville trouva la plaisanterie détestable, si c’en était une ; il repoussa les indigènes avec un air si courroucé, qu’ils se jetèrent dans leurs pirogues et disparurent. Vingt-quatre heures plus tard, le Saint-Jean-Baptiste quittait les Bashees et emmenait trois des Indiens capturés pour remplacer les déserteurs.

Le 7 octobre, après une assez longue route dans le sud-est, une terre fut aperçue par 6° 56’ de latitude méridionale et par 151° 30’ de longitude à l’est du méridien de Paris, à laquelle fut donné le nom d’île de la Première-Vue.

« On la côtoya jusqu’au 13 octobre, jour où l’on découvrit un excellent port, à l’abri de tout vent, formé par une multitude de petites îles. M. de Surville y jeta l’ancre et le nomma port Praslin ; il est situé par 7° 25’ de latitude sud et par 151° 55’ de longitude estimée à l’est du méridien de Paris. »