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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIECLE.

petit gramen très fin… Je ne pus découvrir dans l’île aucun arbre ou arbrisseau… Cette île, exposée aux ravages continuels des vents orageux de l’ouest, qui règnent toute l’année dans ces parages, ne paraît pas habitable. Je n’y ai trouvé que des loups marins, des pingouins, des damiers, des plongeons et toutes les espèces d’oiseaux aquatiques que les navigateurs rencontrent en pleine mer, lorsqu’ils passent le cap de Bonne-Espérance. Ces animaux, qui n’avaient jamais vu d’hommes, n’étaient point farouches et se laissaient prendre à la main. Les femelles de ces oiseaux couvaient leurs œufs avec tranquillité ; d’autres nourrissaient leurs petits ; les loups marins continuaient leurs sauts et leurs jeux en notre présence, sans paraître le moins du monde effarouchés. »

Marion suivit donc les 46 et 47e degrés de latitude au milieu d’un brouillard si intense qu’il fallait continuellement tirer des coups de canon pour ne pas se perdre, et qu’on ne se voyait pas d’un bout à l’autre du pont.

Le 2 février, les deux bâtiments se trouvaient par 47° 22’ de longitude orientale, c’est-à-dire à 1° 18’ des terres découvertes, le 13 du même mois, par les flûtes du roi la Fortune et le Gros-Ventre, sous le commandement de MM. de Kerguelen et de Saint-Allouarn. Nul doute que, sans l’accident arrivé au Castries, Marion les eût rencontrées.

Lorsqu’il eut atteint 90 degrés à l’est du méridien de Paris, Marion changea de route et fit voile pour la terre de Van-Diemen. Aucun incident ne se produisit pendant cette traversée, et les deux navires jetèrent l’ancre dans la baie de Frédéric-Henri.

Les canots furent aussitôt dépassés, et un fort détachement se dirigea vers la terre, où l’on découvrait une trentaine de naturels, terre qui devait être très peuplée, à en juger d’après les feux et les fumées que l’on avait aperçus.

« Les naturels du pays, dit Crozet, se présentèrent de bonne grâce ; ils ramassèrent du bois et firent une espèce de bûcher. Ils présentèrent ensuite aux nouveaux débarqués quelques branchages de bois sec allumés et parurent les inviter à mettre le feu au bûcher. On ignorait ce que voulait dire cette cérémonie et on alluma le bûcher. Les sauvages ne parurent point étonnés ; ils restèrent autour de nous sans faire aucune démonstration, ni d’amitié, ni d’hostilité ; ils avaient avec eux leurs femmes et leurs enfants. Les hommes, ainsi que les femmes, étaient d’une taille ordinaire, d’une couleur noire, les cheveux cotonnés, et tous également nus, hommes et femmes ; quelques femmes portaient leurs enfants sur le dos, attachés avec des cordes de jonc. Les hommes étaient tous armés de bâtons pointus et de quelques pierres, qui nous parurent tranchantes, semblables à des fers de hache.