Page:Verne - Les grands navigateurs du XVIIIe siècle, 1879.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

climat y est infiniment plus doux qu’à la baie d’Hudson, sous la même latitude ; aussi la végétation est-elle extrêmement vigoureuse. Les pins de six pieds de diamètre sur cent quarante de hauteur n’étaient pas rares ; le céleri, l’oseille, le lupin, le pois sauvage, la chicorée, le mimulus se rencontraient à chaque pas ; ainsi qu’un grand nombre de plantes potagères, dont l’usage contribua à tenir les équipages en bonne santé.

La mer y fournit en abondance des saumons, des truites, des vieilles, des capelans et des plies.

Dans les bois vivent des ours noirs et bruns, des lynx, des hermines, des martres, des petit-gris, des écureuils, des castors, des marmottes, des renards, des élans, des bouquetins ; la fourrure la plus précieuse est celle de la loutre de mer, du loup et de l’ours marin.

« Mais, si les productions végétales et animales de cette contrée, dit la Pérouse, la rapprochent de beaucoup d’autres, son aspect ne peut être comparé, et je doute que les profondes vallées des Alpes et des Pyrénées offrent un tableau si effrayant, mais en même temps si pittoresque, qu’il mériterait d’être visité par les curieux, s’il n’était pas à une des extrémités de la terre. »

Quant aux habitants, le portrait que La Pérouse en a tracé mérite d’être conservé :

« Des Indiens, dans leurs pirogues, étaient sans cesse autour de nos frégates ; ils y passaient trois ou quatre heures avant de commencer l’échange de quelques poissons ou de deux ou trois peaux de loutre ; ils saisissaient toutes les occasions de nous voler ; ils arrachaient le fer qui était facile à enlever, et ils examinaient, surtout, par quels moyens ils pourraient, pendant la nuit, tromper notre vigilance, Je faisais monter à bord de ma frégate les principaux personnages ; je les comblais de présents ; et ces mêmes hommes que je distinguais si particulièrement ne dédaignaient jamais le vol d’un clou ou d’une vieille culotte. Lorsqu’ils prenaient un air riant et doux, j’étais assuré qu’ils avaient volé quelque chose et, très souvent, je faisais semblant de ne pas m’en apercevoir. »

Les femmes se font une ouverture dans la partie épaisse de la lèvre inférieure dans toute la largeur de la mâchoire ; elles portent une espèce d’écuelle de bois sans anses qui appuie contre les gencives, « à laquelle cette lèvre fendue sert de bourrelet en dehors, de manière que la partie inférieure de la bouche est saillante de deux ou trois pouces. »

La relâche forcée que La Pérouse venait de faire au port des Français allait l’empêcher de s’arrêter ailleurs et de procéder à la reconnaissance de toutes les indentations de la côte, comme il en avait l’intention, car il devait à tout prix