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LES NAVIGATEURS FRANÇAIS.

d’armes, en tout ving-huit hommes, quittèrent l’Astrolabe pour se mettre sous les ordres de M. de Langle. MM. de Lamanon, Collinet, bien que malades, de Vaujuas, convalescent, accompagnèrent M. de Langle dans son grand canot. M. Le Gobien commandait la chaloupe. MM. de La Martinière, Lavaux et le père Receveur faisaient partie des trente-trois personnes envoyées par la Boussole. C’était un total de soixante et un individus, qui composaient l’élite de l’expédition.

« M. de Langle fit armer tout le monde de fusils et plaça six pierriers sur les chaloupes. La surprise de M. de Langle et de tous ses compagnons fut extrême de trouver, au lieu d’une baie vaste et commode, une anse remplie de corail, dans laquelle on ne pénétrait que par un chenal tortueux, étroit, où la houle déferlait avec violence. M. de Langle avait reconnu cette baie à marée haute ; aussi, à cette vue, son premier mouvement fut-il de gagner la première aiguade.

« Mais la contenance des insulaires, le grand nombre de femmes et d’enfants qu’il aperçut au milieu d’eux, l’abondance des cochons et des fruits qu’ils allaient offrir en vente, firent évanouir ces velléités de prudence.

« Il mit à terre les pièces à eau des quatre embarcations avec la plus grande tranquillité ; ses soldats établirent le meilleur ordre sur le rivage ; ils formèrent une haie qui laissa un espace libre à nos travailleurs ; mais ce calme ne fut pas de longue durée ; plusieurs des pirogues, qui avaient vendu leurs provisions à nos vaisseaux, étaient retournées à terre, et toutes avaient abordé dans la baie de l’aiguade, en sorte que, peu à peu, elle s’était remplie ; au lieu de deux cents habitants, y compris les femmes et les enfants, que M. de Langle y avait rencontrés en arrivant à une heure et demie, il s’en trouva mille à douze cents à trois heures.

« La situation de M. de Langle devenait plus embarrassante de moment en moment : il parvint néanmoins, secondé par MM. de Vaujuas, Boutin, Collinet et Gobien, à embarquer son eau. Mais la baie était presque à sec, et il ne pouvait pas espérer de déchouer ses chaloupes avant quatre heures du soir ; il y entra cependant, ainsi que son détachement, et se posta en avant avec son fusil et ses fusiliers, défendant de tirer avant qu’il en eût donné l’ordre.

« Il commençait néanmoins à sentir qu’il y serait bientôt forcé : déjà les pierres volaient, et ces Indiens, qui n’avaient de l’eau que jusqu’aux genoux, entouraient les chaloupes à moins d’une toise de distance ; les soldats, qui étaient embarqués, faisaient de vains efforts pour les écarter.

« Si la crainte de commencer les hostilités et d’être accusé de barbarie n’eût arrêté M. de Langle, il eût sans doute ordonné de faire sur les Indiens une