Page:Verne - Les grands navigateurs du XVIIIe siècle, 1879.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

ou cinq pas, chaque coup de fusil dut tuer un Indien, mais on n’eut pas le temps de recharger. M. Boutin fut également renversé par une pierre ; il tomba heureusement entre les deux embarcations échouées ; ceux qui s’étaient sauvés à la nage vers les deux canots avaient chacun plusieurs blessures, presque toutes à la tête. Ceux, au contraire, qui eurent le malheur d’être renversés du côté des Indiens, furent achevés dans l’instant, à coups de massue.

« On doit à la sagesse de M. de Vaujuas, au bon ordre qu’il établit, à la ponctualité avec laquelle M. Mouton, qui commandait le canot de la Boussole, sut le maintenir, le salut des quarante-neuf personnes des deux équipages.

« Le canot de l’Astrolabe était si chargé, qu’il échoua. Cet événement fit naître aux insulaires l’idée de troubler les blessés dans leur retraite ; ils se portèrent en grand nombre vers les récifs de l’entrée, dont les canots devaient nécessairement passer à dix pieds de distance : on épuisa, sur ces forcenés, le peu de munitions qui restaient, et les canots sortirent enfin de cet antre. »

La Pérouse eut tout d’abord l’idée assez naturelle de venger la mort de ses malheureux compagnons. M. Boutin, que ses blessures retenaient au lit, mais qui avait conservé toute sa tête, l’en détourna très vivement, en lui représentant que si, par malheur, quelque chaloupe venait à s’échouer, la disposition de la baie était telle, les arbres qui descendaient presque dans la mer offraient aux indigènes des abris si sûrs, que pas un Français n’en sortirait. La Pérouse dut louvoyer pendant deux jours devant le théâtre de ce sanglant événement, sans pouvoir donner satisfaction à ses équipages altérés de vengeance.

« Ce qui paraîtra sans doute incroyable, dit La Pérouse, c’est que, pendant ce temps, cinq ou six pirogues partirent de la côte et vinrent, avec des cochons, des pigeons et des cocos, nous proposer des échanges ; j’étais à chaque instant obligé de retenir ma colère pour ne pas ordonner de les couler bas. » On comprend sans peine qu’un événement qui privait les deux bâtiments d’une partie de leurs officiers, de trente-deux de leurs meilleurs matelots et de deux chaloupes, devait modifier les projets de La Pérouse, car le plus petit échec l’aurait forcé de brûler une des frégates pour armer l’autre. Il n’avait d’autre parti à prendre que de faire voile pour Botany-Bay, tout en reconnaissant les différentes îles qu’il rencontrerait, et en déterminant leur position astronomiquement.

Le 14 décembre, on eut connaissance de l’île d’Oyolava, qui fait partie du même groupe, et que Bougainville avait aperçue de très loin. Taïti peut à peine lui être comparée pour la beauté, l’étendue, la fertilité et la densité de la population. De tout point semblables à ceux de Maouna, les habitants