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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

nistration, le revenu que le roi de Portugal tirait du Brésil dépassait dix millions de livres.

De Rio à Montevideo, aucun incident ne se produisit ; mais, sur la Plata, pendant une tourmente, l’Étoile fut abordée par un bâtiment espagnol, qui lui rompit son beaupré, sa poulaine et quantité de manœuvres. Les avaries et la violence du choc qui avait augmenté la voie d’eau du navire, le forcèrent à remonter à Enceñada de Baragan où il était plus facile qu’à Montevideo de faire les réparations nécessaires. Il ne fut donc possible de sortir de la rivière que le 14 novembre.

Treize jours plus tard, les deux bâtiments étaient en vue du cap des Vierges, à l’entrée du détroit de Magellan, où ils ne tardèrent pas à pénétrer. La baie Possession, la première qu’on y rencontre, est un grand enfoncement ouvert à tous les vents et n’offrant que de très mauvais mouillages. Du cap des Vierges au cap d’Orange, on compte près de quinze lieues, et le détroit est partout large de cinq à sept lieues. Le premier goulet fut franchi sans difficulté, et l’ancre fut alors jetée dans la baie Boucault, où une dizaine d’officiers et de matelots descendirent à terre.

Ils ne tardèrent pas à lier connaissance avec les Patagons et à échanger quelques bagatelles, précieuses pour ceux-ci, contre des peaux de vigogne et de guanaco. Ces naturels étaient d’une taille élevée, mais pas un n’avait six pieds.

« Ce qui m’a paru être gigantesque en eux, dit Bougainville, c’est leur énorme carrure, la grosseur de leur tête et l’épaisseur de leurs membres. Ils sont robustes et bien nourris ; leurs nerfs sont tendus, leur chair est ferme et soutenue ; c’est l’homme qui, livré à la nature et à un aliment plein de sucs, a pris tout l’accroissement dont il est susceptible. »

Du premier au second goulet, qui fut passé aussi heureusement, il peut y avoir six ou sept lieues. Ce goulet n’a qu’une lieue et demie de largeur et quatre de longueur. Dans cette partie du détroit, les bâtiments ne tardèrent pas à rencontrer les îles Saint-Barthélemy et Sainte-Élisabeth. Les Français descendirent sur cette dernière. Ils n’y trouvèrent ni bois ni eau. C’est une terre absolument stérile.

À partir de cet endroit, la côte américaine du détroit est abondamment garnie de bois. Si les premiers pas difficiles avaient été franchis avec bonheur, Bougainville allait cependant trouver à exercer sa patience. En effet, le caractère distinctif de ce climat, c’est que les variations de l’atmosphère s’y succèdent avec une telle promptitude qu’il est impossible de prévoir leurs brusques et dangereuses révolutions. De là des avaries qu’il est impossible de prévenir, qui