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maître du monde

En ce moment, dans quelles conditions naviguait l’Épouvante  ?… Après avoir transformé son bateau en automobile, le capitaine courait-il les routes des États limitrophes du lac ?… Si cela était, pour peu que je fusse resté sans connaissance de longues heures, l’appareil, à toute vitesse, ne devait-il pas être déjà loin ?… Ou bien, redevenu submersible, poursuivait-il sa route sous les eaux du lac ?…

Non, l’Épouvante se mouvait alors sur une vaste surface liquide. La lumière, pénétrant dans ma cabine, indiquait que l’appareil n’était point immergé. D’autre part, je ne ressentais aucun de ces cahots que l’automobile eût éprouvés sur une route. Donc, l’Épouvante n’avait pas pris terre.

Quant à la question de savoir si elle naviguait encore dans le bassin de l’Érié, c’était autre chose. Le capitaine n’avait-il pu remonter le cours de Detroit-river et gagner, soit le lac Huron, soit le lac Supérieur, à travers cette immense région lacustre ?… Il me serait difficile de le reconnaître.

Cependant, je me décidai à monter sur le pont. Une fois dehors, j’aviserais. Après m’être tiré du cadre, je pris mes vêtements, je m’habillai, sans trop savoir, d’ailleurs, si je n’étais pas sous verrou dans cette cabine.

J’essayai alors de relever le panneau rabattu au-dessus de ma tête.

Le panneau céda à la poussée, et je me redressai à mi-corps.

Mon premier soin fut de regarder en avant, en arrière, des deux côtés, par-dessus la rambarde de l’Épouvante.

Partout, la vaste nappe liquide ! Pas un rivage en vue ! Rien qu’un horizon formé par la ligne du ciel ! Que ce fût un lac ou la mer, je ne tardai pas à être fixé sur ce point. Comme nous filions à grande vitesse, l’eau, coupée par l’étrave, rejaillissait jusqu’à l’arrière, et les embruns me fouettaient la figure.

C’était de l’eau douce, et, très probablement, celle de l’Érié.