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maître du monde

Il n’y avait rien à tirer d’eux, et je retombai dans mes réflexions, me répétant :

« Comment cette aventure finira-t-elle ?… Cet invisible capitaine, le verrai-je enfin, et me rendra-t-il ma liberté ?… Parviendrai-je à la recouvrer malgré lui ?… Cela dépendrait des circonstances !… Mais, si l’Épouvante se tient au large de tout littoral, ou si elle navigue sous les eaux, comment parvenir à la quitter ?… À moins que l’appareil ne redevienne automobile, faudra-t-il renoncer à toute tentative d’évasion ?… »

D’ailleurs, pourquoi ne l’avouerais-je pas ?… M’échapper sans avoir rien découvert des secrets de l’Épouvante, je ne pouvais me faire à cette idée !… Car, enfin, bien que je n’eusse pas à me féliciter jusqu’ici de ma nouvelle campagne, — et il s’en est fallu de peu que j’y laisse la vie —, bien que l’avenir offrît plus de mauvaises chances que de bonnes, l’affaire avait fait un pas… Il est vrai, si je ne puis rentrer en communication avec mes semblables, si, comme ce Maître du Monde qui est mis hors la loi, je suis hors de l’humanité…

L’Épouvante continuait à se diriger vers le nord-est dans le sens même de la longueur de l’Érié. Elle ne marchait plus qu’à moyenne vitesse, et, d’ailleurs, en la poussant à son maximum, il ne lui aurait fallu que quelques heures pour atteindre la pointe nord-est du lac.

À cette extrémité, l’Érié n’a d’autre issue que la rivière Niagara, qui le relie à l’Ontario. Or, cette rivière est barrée par les fameuses cataractes, une quinzaine de milles au-dessous de Buffalo, importante cité de l’État de New York. Du moment que l’Épouvante n’avait pas remonté Detroit-river, comment abandonnerait-elle ces parages, à moins de prendre les routes de terre ?…

Le soleil venait de passer au méridien. Le temps était beau, la chaleur forte, mais supportable, grâce à la brise qui rafraîchis-