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mathias sandorf.

Ne sentait-il donc pas que le docteur Antékirtt était plus ému que lui, peut-être, et que s’il ne répondait pas, c’était pour ne rien laisser voir de ce qui se passait dans son âme ?

« Monsieur Bathory, dit-il enfin, je n’ai point à vous pardonner une douleur si naturelle. D’ailleurs, vous êtes de sang hongrois, et quel enfant de la Hongrie serait assez dénaturé pour ne pas sentir son cœur se serrer à de tels souvenirs ! À cette époque, il y a quinze ans, — oui ! il y a déjà quinze ans ! — vous étiez bien jeune. À peine si vous pouvez dire que vous ayez connu votre père et les événements auxquels il a pris part !

— Ma mère est un autre lui-même, monsieur ! répondit Pierre Bathory. Elle m’a élevé dans le culte de celui qu’elle n’a cessé de pleurer ! Tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a tenté, toute cette vie de dévouement envers les siens, de patriotisme envers son pays, je l’ai su par elle ! Je n’avais que huit ans, lorsque mon père est mort, mais il me semble qu’il est toujours vivant, puisqu’il revit dans ma mère !

— Vous aimez votre mère comme elle mérite d’être aimée, Pierre Bathory, répondit le docteur Antékirtt, et nous, nous la vénérons comme la veuve d’un martyr ! »