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en amont par une longue pointe de la rive, formait un remous que le bac traversa facilement. Les deux bateliers poussaient avec de longues gaffes qu’ils maniaient très-adroitement ; mais, à mesure qu’ils gagnaient le large, le fond du lit du fleuve s’abaissant, il ne leur resta bientôt presque plus de bout pour y appuyer leur épaule. L’extrémité des gaffes ne dépassait pas d’un pied la surface des eaux, — ce qui en rendait l’emploi pénible et insuffisant.

Michel Strogoff et Nadia, assis à l’arrière du bac, et toujours portés à craindre quelque retard, observaient avec une certaine inquiétude la manœuvre des bateliers.

« Attention ! » cria l’un d’eux à son camarade.

Ce cri était motivé par la nouvelle direction que venait de prendre le bac avec une extrême vitesse. Il subissait alors l’action directe du courant et descendait rapidement le fleuve. Il s’agissait donc, en employant utilement les gaffes, de le mettre en situation de biaiser avec le fil des eaux. C’est pourquoi, en appuyant le bout de leurs gaffes dans une suite d’entailles ménagées au-dessous du plat-bord, les bateliers parvinrent-ils à faire obliquer le bac, et il gagna peu à peu vers la rive droite.

On pouvait certainement calculer qu’il l’atteindrait à cinq ou six verstes en aval du point d’embarquement, mais il n’importait après tout, si bêtes et gens débarquaient sans accident.

Les deux bateliers, hommes vigoureux, stimulés en outre par la promesse d’un haut péage, ne doutaient pas d’ailleurs de mener à bien cette difficile traversée de l’Irtyche.

Mais ils comptaient sans un incident qu’ils étaient impuissants à prévenir, et ni leur zèle ni leur habileté n’auraient rien pu faire en cette circonstance.

Le bac se trouvait engagé dans le milieu du courant, à égale distance environ des deux rives, et il descendait avec une vitesse de deux verstes à l’heure, lorsque Michel Strogoff, se levant, regarda attentivement en amont du fleuve.

Il aperçut alors plusieurs barques que le courant emportait avec une grande rapidité, car à l’action de l’eau se joignait celle des avirons dont elles étaient armées.

La figure de Michel Strogoff se contracta tout à coup, et une exclamation lui échappa.

« Qu’y a-t-il ? » demanda la jeune fille.

Mais avant que Michel Strogoff eût eu le temps de lui répondre, un des bateliers s’écriait avec l’accent de l’épouvante :

« Les Tartares ! les Tartares ! »