Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/213

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secret. C’était pour lui une question de vie et de mort, et, mieux encore, une question de devoir et d’honneur.

— De devoir, en effet, de devoir impérieux, dit la vieille Sibérienne, de ceux auxquels on sacrifie tout, pour l’accomplissement desquels on refuse tout, même la joie de venir donner un baiser, le dernier peut-être, à sa vieille mère ! Tout ce que tu ne sais pas, Nadia, tout ce que je ne savais pas moi-même, je le sais à l’heure qu’il est ! Tu m’as tout fait comprendre ! Mais la lumière que tu as jetée au plus profond des ténèbres de mon cœur, cette lumière, je ne puis la faire entrer dans le tien. Le secret de mon fils, Nadia, puisqu’il ne te l’a pas dit, il faut que je le lui garde ! Pardonne-moi, Nadia ! Le bien que tu m’as fait, je ne puis te le rendre !

— Mère, je ne vous demande rien, » répondit Nadia.

Tout s’était expliqué ainsi pour la vieille Sibérienne, tout, jusqu’à l’inexplicable conduite de son fils à son égard, dans l’auberge d’Omsk, en présence des témoins de leur rencontre. Il n’y avait plus à douter que le compagnon de la jeune fille n’eût été Michel Strogoff, et qu’une mission secrète, quelque importante dépêche à porter à travers la contrée envahie, ne l’obligeât à cacher sa qualité de courrier du czar.

« Ah ! mon brave enfant, pensa Marfa Strogoff. Non ! Je ne te trahirai pas, et les tortures ne m’arracheront jamais l’aveu que c’est bien toi que j’ai vu à Omsk ! »

Marfa Strogoff aurait pu, d’un mot, payer Nadia de tout son dévouement pour elle. Elle aurait pu lui apprendre que son compagnon, Nicolas Korpanoff, ou plutôt Michel Strogoff, n’avait pas péri dans les eaux de l’Irtyche, puisque c’était quelques jours après cet incident qu’elle l’avait rencontré, qu’elle lui avait parlé !…

Mais elle se contint, elle se tut, et se borna à dire :

« Espère, mon enfant ! Le malheur ne s’acharnera pas toujours sur toi ! Tu reverras ton père, j’en ai le pressentiment, et, peut-être, celui qui te donnait le nom de sœur n’est-il pas mort ! Dieu ne peut pas permettre que ton brave compagnon ait péri !… Espère, ma fille ! espère ! Fais comme moi ! Le deuil que je porte n’est pas encore celui de mon fils ! »