Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/253

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— Pauvres jeunes gens ! — Cela a dû te faire bien mal, quand ils t’ont brûlé les yeux !

— Bien mal, répondit Michel Strogoff, en se tournant comme s’il eût pu voir Nicolas.

— Tu n’as pas pleuré ?

— Si.

— Moi aussi, j’aurais pleuré. Penser qu’on ne reverra plus ceux qu’on aime ! Mais enfin, ils vous voient. C’est peut-être une consolation !

— Oui, peut-être ! — Dis-moi, ami, demanda Michel Strogoff, est-ce que tu ne m’as jamais vu quelque part ?

— Toi, petit père ? Non, jamais.

— C’est que le son de ta voix ne m’est pas inconnu.

— Voyez-vous, répondit Nicolas en souriant. Il connaît le son de ma voix ! peut-être me demandes-tu cela pour savoir d’où je viens. Oh ! je vais te le dire. Je viens de Kolyvan.

— De Kolyvan ? dit Michel Strogoff. Mais alors c’est là que je t’ai rencontré. Tu étais au poste télégraphique ?

— Cela se peut, répondit Nicolas. J’y demeurais. J’étais l’employé chargé des transmissions.

— Et tu es resté à ton poste jusqu’au dernier moment ?

— Eh ! c’est surtout à ce moment-là qu’il faut y être !

— C’était le jour où un Anglais et un Français se disputaient, roubles en main, la place à ton guichet, et où l’Anglais a télégraphié les premiers versets de la Bible ?

— Ça, petit père, c’est possible, mais je ne me le rappelle pas !

— Comment ! tu ne te le rappelles pas ?

— Je ne lis jamais les dépêches que je transmets. Mon devoir étant de les oublier, le plus court est de les ignorer. »

Cette réponse peignait Nicolas Pigassof.

Cependant, la kibitka allait son petit train, que Michel Strogoff aurait voulu rendre plus rapide. Mais Nicolas et son cheval étaient accoutumés à une allure dont ils n’auraient pu se départir ni l’un ni l’autre. Le cheval marchait pendant trois heures et se reposait pendant une, — cela jour et nuit. Durant les haltes, le cheval paissait, les voyageurs de la kibitka mangeaient en compagnie du fidèle Serko. La kibitka était approvisionnée pour vingt personnes au moins, et Nicolas avait mis généreusement ses réserves à la disposition de ses deux hôtes, qu’il croyait frère et sœur.