Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/284

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Michel Strogoff serra plus fortement la main de sa compagne, mais il ne répondit pas.

« Connaissais-tu donc le contenu de cette lettre avant de quitter Moscou ? reprit Nadia.

— Non, je ne le connaissais pas.

— Dois-je penser, Michel, que le seul désir de me remettre entre les mains de mon père t’entraîne vers Irkoutsk ?

— Non, Nadia, répondit gravement Michel Strogoff. Je te tromperais, si je te laissais croire qu’il en est ainsi. Je vais là où mon devoir m’ordonne d’aller ! Quant à te conduire à Irkoutsk, n’est-ce pas toi, Nadia, qui m’y conduit maintenant ? N’est-ce pas par tes yeux que je vois, n’est-ce pas ta main qui me guide ? Ne m’as-tu pas rendu au centuple les services que j’ai pu d’abord te rendre ? Je ne sais si le sort cessera de nous accabler, mais le jour où tu me remercieras de t’avoir remise entre les mains de ton père, je te remercierai, moi, de m’avoir conduit à Irkoutsk !

— Pauvre Michel ! répondit Nadia tout émue. Ne parle pas ainsi ! Ce n’est pas la réponse que je te demande. Michel, pourquoi, maintenant, as-tu tant de hâte d’atteindre Irkoutsk ?

— Parce qu’il faut que j’y sois avant Ivan Ogareff ! s’écria Michel Strogoff.

— Même encore ?

— Même encore, et j’y serai ! »

Et, en prononçant ces derniers mots, Michel Strogoff ne parlait pas seulement par haine du traître. Mais Nadia comprit que son compagnon ne lui disait pas tout, et qu’il ne pouvait pas tout lui dire.

Le 15 septembre, trois jours plus tard, tous deux atteignaient la bourgade de Kouitounskoë, à soixante-dix verstes de Toulounovskoë. La jeune fille ne marchait plus sans d’extrêmes souffrances. Ses pieds endoloris pouvaient à peine la soutenir. Mais elle résistait, elle luttait contre la fatigue, et sa seule pensée était celle-ci :

« Puisqu’il ne peut pas me voir, j’irai jusqu’à ce que je tombe ! »

D’ailleurs, nul obstacle sur cette partie de la route, nul danger non plus, dans cette période du voyage, depuis le départ des Tartares. Beaucoup de fatigue seulement.

Pendant trois jours, ce fut ainsi. Il était visible que la troisième colonne d’envahisseurs gagnait rapidement dans l’est. Cela se reconnaissait aux ruines qu’ils laissaient après eux, aux cendres qui ne fumaient plus, aux cadavres déjà décomposés qui gisaient sur le sol.