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Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/308

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rive droite, et une distance de trois à quatre cents pieds le séparait alors des berges flamboyantes de Poshkavsk.

Néanmoins, les fugitifs, éclairés par instants, auraient été certainement aperçus, si les incendiaires n’eussent été trop occupés à la destruction de la bourgade. Mais on comprendra quelles devaient être alors les appréhensions d’Alcide Jolivet et d’Harry Blount, en songeant à ce liquide combustible sur lequel le radeau flottait.

En effet, des gerbes d’étincelles s’échappaient des maisons qui formaient autant de fournaises ardentes. Au milieu des volutes de fumée, ces étincelles montaient dans l’air à une hauteur de cinq ou six cents pieds. Sur la rive droite, exposée de face à cette conflagration, les arbres et les falaises apparaissaient comme enflammés. Or, il suffisait d’une étincelle, tombant à la surface de l’Angara, pour que l’incendie se propageât au fil des eaux et portât le désastre d’une rive à l’autre. C’était, à bref délai, la destruction du radeau et de tous ceux qu’il entraînait.

Mais, heureusement, les faibles brises de la nuit ne soufflaient pas de ce côté. Elles continuaient à venir de l’est et rabattaient les flammes vers la gauche. Il était donc possible que les fugitifs échappassent à ce nouveau danger.

Et, en effet, la bourgade en flammes fut enfin dépassée. Peu à peu, l’éclat de l’incendie s’affaiblit, ses crépitements diminuèrent, et les dernières lueurs disparurent au delà des hautes falaises, qui se dressaient à un coude brusque de l’Angara.

Il était environ minuit. L’ombre, redevenue épaisse, protégeait de nouveau le radeau. Les Tartares étaient toujours là, qui allaient et venaient sur les deux rives. On ne les voyait pas, mais on les entendait. Les feux des postes avancés brillaient extraordinairement.

Cependant, il devenait nécessaire de manœuvrer avec plus de précision au milieu des glaçons qui se resserraient.

Le vieux marinier se releva, et les moujiks reprirent leurs gaffes. Tous avaient fort à faire, et la conduite du radeau devenait de plus en plus difficile, car le lit du fleuve s’obstruait visiblement.

Michel Strogoff s’était glissé jusqu’à l’avant.

Alcide Jolivet l’avait suivi.

Tous deux écoutaient ce que disaient le vieux marinier et ses hommes.

« Veille sur la droite !

— Voilà les glaçons qui se prennent à gauche !

— Défends ! défends avec ta gaffe !