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Don Orteva eut à surveiller plus spécialement deux hommes de son équipage, le lieutenant Martinez et le gabier José.

Le lieutenant Martinez, ayant compromis sa dignité d’officier dans les conciliabules du gaillard d’avant, avait dû être plusieurs fois consigné, et, pendant ses arrêts, l’aspirant Pablo l’avait remplacé dans les fonctions de lieutenant de la Constanzia. Quant au gabier José, c’était un homme vil et méprisable, qui ne pesait les sentiments qu’au poids de l’or. Il se vit donc serré de près par l’honnête contre-maître Jacopo, en qui don Orteva avait toute confiance.

L’aspirant Pablo était une de ces natures d’élite, franches et courageuses, auxquelles la générosité inspire de grandes choses. Orphelin, recueilli et élevé par le capitaine don Orteva, il se fût fait tuer pour son bienfaiteur. Pendant ses longues conversations avec le contre-maître Jacopo, il se laissait aller, emporté par l’ardeur de sa jeunesse et l’élan de son cœur, à parler de la tendresse filiale qu’il éprouvait pour don Orteva, et le brave Jacopo lui serrait vigoureusement la main, car il comprenait ce que l’aspirant disait si bien. Aussi, don Orteva avait-il là deux hommes dévoués, sur lesquels il pouvait compter absolument. Mais que pouvaient-ils tous trois contre les passions d’un équipage indiscipliné ? Pendant qu’ils s’employaient jour et nuit à triompher de l’esprit de discorde, Martinez, José et les autres matelots marchaient plus avant dans la révolte et la trahison.

La veille de l’appareillage, le lieutenant Martinez se trouvait à Guajan dans un cabaret de bas étage, avec quelques contre-maîtres et une vingtaine de marins des deux navires.

« Camarades, disait Martinez, grâce aux avaries survenues si opportunément, le brick et le vaisseau ont dû relâcher aux Mariannes et j’ai pu venir ici m’entretenir secrètement avec vous !

— Bravo ! fit l’assemblée d’une seule voix.

— Parlez, lieutenant, dirent alors plusieurs matelots, et faites-nous connaître votre projet.

— Voici mon plan, répondit Martinez. Dès que nous nous serons emparés des deux navires, nous ferons route vers les côtes du Mexique. Vous savez que la nouvelle Confédération est dépourvue de marine. Elle achètera donc nos vaisseaux, les yeux fermés, et non-seulement notre paye sera ainsi réglée, mais le surplus du prix de vente sera également partagé entre tous.

— C’est convenu !

— Et quel sera le signal pour agir avec ensemble à bord des deux bâtiments ? demanda le gabier José.