Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/54

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« Seule, se disait-il, seule au milieu de ces nomades ! Et encore les dangers présents ne sont-ils rien auprès de ceux que l’avenir lui réserve ! La Sibérie ! Irkoutsk ! Ce que je vais tenter pour la Russie et le czar, elle va le faire, elle, pour… Pour qui ? Pour quoi ? Elle est autorisée à franchir la frontière ! Et le pays au delà est soulevé ! Des bandes tartares courent les steppes !… »

Michel Strogoff s’arrêtait par instants et se prenait à réfléchir.

« Sans doute, pensa-t-il, cette idée de voyager lui est venue avant l’invasion ! Peut-être elle-même ignore-t-elle ce qui se passe !… Mais non, ces marchands ont causé devant elle des troubles de la Sibérie… et elle n’a pas paru étonnée… Elle n’a même demandé aucune explication… Mais alors elle savait donc, et, sachant, elle va !… La pauvre fille !… Il faut que le motif qui l’entraîne soit bien puissant ! Mais, si courageuse qu’elle soit, — et elle l’est assurément — ses forces la trahiront en route, et, sans parler des dangers et des obstacles, elle ne pourra supporter les fatigues d’un tel voyage !… Jamais elle ne pourra atteindre Irkoutsk ! »

Cependant, Michel Strogoff allait toujours au hasard, mais, comme il connaissait parfaitement la ville, retrouver son chemin ne pouvait être embarrassant pour lui.

Après avoir marché pendant une heure environ, il vint s’asseoir sur un banc adossé à une grande case de bois, qui s’élevait, au milieu de beaucoup d’autres, sur une très-vaste place.

Il était là depuis cinq minutes, lorsqu’une main s’appuya fortement sur son épaule.

« Qu’est-ce que tu fais là ? lui demanda d’une voix rude un homme de haute taille qu’il n’avait pas vu venir.

— Je me repose, répondit Michel Strogoff.

— Est-ce que tu aurais l’intention de passer la nuit sur ce banc ? reprit l’homme.

— Oui, si cela me convient, répliqua Michel Strogoff d’un ton un peu trop accentué pour le simple marchand qu’il devait être.

— Approche donc qu’on te voie ! » dit l’homme.

Michel Strogoff, se rappelant qu’il fallait être prudent avant tout, recula instinctivement.

« On n’a pas besoin de me voir, » répondit-il.

Et il mit, avec sang-froid, un intervalle d’une dizaine de pas entre son interlocuteur et lui.

Il lui sembla alors, en l’observant bien, qu’il avait affaire à une sorte de bohé-