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mistress branican.

quoi dans un mouvement irréfléchi, avait-elle arraché l’enfant des bras de sa nourrice, au moment où l’embarcation évoluait brusquement pour éviter un abordage !… Elle était tombée, et le petit Wat lui avait échappé… à elle, sa mère… et elle n’avait pas eu l’instinct de le serrer dans une étreinte convulsive… Et, lorsque le matelot l’avait ramenée à bord, le petit Wat n’était plus dans ses bras !… Pauvre enfant, qui n’avait pas même une tombe sur laquelle sa mère pût aller pleurer !

Ces images, trop vivement évoquées dans son esprit, faisaient perdre à Dolly le calme qui lui était si nécessaire. À plusieurs reprises, un violent délire, dû au redoublement de la fièvre, rendit le docteur Brumley extrêmement inquiet. Par bonheur, ces crises se calmèrent, s’éloignèrent, disparurent enfin. Il n’y eut plus à craindre pour l’état mental de Mrs. Branican. Le moment approchait où M. William Andrew pourrait tout lui dire.

Dès que Dolly fut franchement entrée dans la période de convalescence, elle obtint la permission de quitter son lit. On l’installa sur une chaise longue, devant les fenêtres de sa chambre, d’où son regard embrassait la baie de San-Diégo, et pouvait se porter plus loin que la pointe Loma, jusqu’à l’horizon de mer. Là, elle restait immobile pendant de longues heures.

Puis Dolly voulut écrire à John ; elle avait besoin de lui parler de leur enfant qu’il ne verrait plus, et elle laissa déborder toute sa douleur dans une lettre que John ne devait jamais recevoir.

M. William Andrew prit cette lettre, en promettant de la joindre à son courrier pour les Indes, et, cela fait, Mrs. Branican redevint assez calme, ne vivant plus que dans l’espérance d’obtenir par voie directe ou indirecte des nouvelles du Franklin.

Cependant cet état de choses ne devait pas durer. Évidemment, Dolly apprendrait, tôt ou tard, ce qu’on lui cachait, — par excès de prudence peut-être. Plus elle se concentrait dans cette pensée qu’elle ne tarderait pas à recevoir une lettre de John, que chaque jour écoulé la rapprochait de son retour, plus le coup serait terrible !