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mistress branican.

sonnage s’occupait non moins opiniâtrement d’un voyage identique. Il était descendu dans un hôtel de Hindley-Street. Un appartement sur le devant de l’hôtel, une chambre sur la cour intérieure, réunissaient sous le même toit ces singuliers représentants de la race aryenne et de la race jaune, l’Anglais Jos Meritt et le Chinois Gîn-Ghi.

D’où venaient ces deux types, empruntés à l’extrême Asie et à l’extrême Europe ? Où allaient-ils ? Que faisaient-ils à Melbourne et que venaient-ils faire à Adélaïde ? Enfin, en quelle circonstance ce maître et ce serviteur s’étaient-ils associés, — celui-là payant celui-ci, celui-ci servant celui-là, — pour courir le monde de conserve ? C’est ce qui va ressortir d’une conversation à laquelle prenaient part Jos Meritt et Gîn-Ghi, dans la soirée du 5 septembre — conversation que complétera une explication sommaire.

Et de prime abord, si quelques traits de caractère, quelques manies, la singularité de ses attitudes, la façon dont il s’exprimait, ont permis d’entrevoir la silhouette de cet Anglo-Saxon, il convient de faire connaître aussi ce Céleste, à son service, qui avait conservé les vêtements traditionnels du pays chinois, la chemisette « han chaol », la tunique « ma coual », la robe « haol » boutonnée sur le flanc, et le pantalon bouffant avec ceinture d’étoffe. S’il se nommait Gîn-Ghi, il méritait ce nom, qui au sens propre signifie « homme indolent ». Et il l’était, indolent, et à un degré rare, devant la besogne comme devant le danger. Il n’eût pas fait dix pas pour exécuter un ordre ; il n’en aurait pas fait vingt pour éviter un péril. Il fallait, c’est positif, que Jos Meritt eût une prodigieuse dose de patience pour garder un tel serviteur. À la vérité, c’était affaire d’habitude, car depuis cinq à six années, ils voyageaient ensemble. L’un avait rencontré l’autre à San-Francisco, où les Chinois fourmillent, et il en avait fait son domestique « à l’essai », avait-il dit – essai qui se prolongerait sans doute jusqu’à la séparation suprême. À mentionner aussi, Gîn-Ghi, élevé à Hong-Kong, parlait l’anglais comme un natif de Manchester.

Du reste, Jos Meritt ne s’emportait guère, étant d’un tempérament