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mistress branican.

— Des moutons ?… répliqua Godfrey en riant. Si ce ne sont que des moutons…

— Ne riez pas, Godfrey ! répondit le chef de l’escorte. Il y a peut-être là des milliers et des milliers de moutons, qui auront été saisis de panique… Si je ne me suis pas trompé, ils vont passer comme une avalanche, détruisant tout sur leur passage ! »

Tom Marix n’exagérait pas. Lorsque ces animaux sont affolés pour une cause ou pour une autre — ce qui arrive quelquefois à l’intérieur des runs, — rien ne peut les retenir, ils renversent les barrières, et s’échappent. Un vieux dicton dit que « devant les moutons s’arrête la voiture du roi… » et il est vrai qu’un troupeau de ces stupides bêtes se laisse plutôt écraser que de céder la place ; mais si elles se laissent écraser elles écrasent aussi, lorsqu’elles se précipitent en masse énorme. Et c’était bien le cas. À voir le nuage de poussière qui s’arrondissait sur un espace de deux à trois lieues, on ne pouvait estimer à moins de cent mille les moutons qu’une panique aveugle lançait sur le chemin de la caravane. Emportés du nord au sud, ils se déroulaient comme un mascaret à la surface de la plaine et ne s’arrêteraient qu’au moment où ils tomberaient, épuisés par cette course folle.

« Que faire ? demanda Zach Fren.

— S’abriter tant bien que mal au pied de l’épaulement », répondit Tom Marix.

Il n’y avait pas d’autre parti à prendre, et tous trois redescendirent. Si insuffisantes que pussent être les précautions indiquées par Tom Marix, elles furent aussitôt mises à exécution. L’avalanche des moutons n’était pas à deux milles du campement. Le nuage montait en grosses volutes dans l’air, et de ce nuage sourdait un tumulte formidable de bêlements.

Les chariots furent mis à l’abri contre le talus. Quant aux chevaux et aux bœufs, leurs cavaliers et leurs conducteurs les obligèrent à s’étendre sur le sol, afin de mieux résister à cet assaut qui passerait peut-être au-dessus d’eux sans les atteindre. Les hommes s’acco-