hâlant dessus, il fit disparaître l’embarcation sous un sombre berceau de verdure. Un instant après, leur amarre tournée à l’une des racines d’un palétuvier, Gilbert et Mars, immobiles, se trouvaient au milieu d’une obscurité telle qu’ils ne pouvaient plus se voir.
Cette manœuvre n’avait pas duré dix secondes.
Le jeune lieutenant saisit alors le bras de son compagnon, et il allait lui demander l’explication de cette manœuvre, lorsque Mars, tendant le bras à travers le feuillage, montra un point mouvant sur la partie moins sombre des eaux.
C’était une embarcation conduite par quatre hommes qui remontait le courant, après avoir doublé la langue de terre, et se dirigeait de manière à longer la berge au-dessus de la pointe.
Gilbert et Mars eurent alors la même pensée : avant tout et malgré tout, regagner leur bord. Si leur canot était découvert, ils n’hésiteraient pas à sauter sur la rive, ils fileraient entre les arbres, ils s’enfuiraient par la berge jusqu’à la hauteur de la barre. Là, le jour venu, soit qu’on aperçût leurs signaux de la plus rapprochée des canonnières, soit qu’ils dussent la rejoindre à la nage, ils feraient tout ce qu’il était humainement possible de faire pour revenir à leur poste.
Mais, presque aussitôt, ils allaient comprendre que toute retraite par terre leur serait coupée.
En effet, lorsque l’embarcation fut arrivée à vingt pieds au plus du berceau de verdure, une conversation s’établit entre les gens qui la montaient et une demi-douzaine d’autres, dont les ombres apparaissaient entre les arbres sur l’arête de la berge.
« Le plus difficile est fait ? cria-t-on de terre.
— Oui, répondit-on du fleuve. Cette pointe à doubler avec marée descendante, c’est aussi dur que de remonter un rapide !
— Allez-vous mouiller en cet endroit, maintenant que nous voilà débarqués sur la pointe ?
— Sans doute, au milieu du remous… Nous garderons mieux l’extrémité du barrage.