Page:Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
nord contre sud.

L’obscurité était profonde alors. Les incendies, allumés sur le domaine, commençaient à s’éteindre avec le fracas des détonations. De ces fumées accumulées vers le nord, il ne sortait plus que de rares poussées de flammes que la surface du fleuve réverbérait comme un rapide éclair. Puis, tout devint silencieux et sombre. L’embarcation suivait le chenal du fleuve, dont on ne pouvait même plus voir les bords. Elle n’eût pas été plus isolée, plus seule, en pleine mer.

Vers quelle crique se dirigeait l’embarcation dont Squambô tenait la barre ? C’est ce qu’il importait de savoir avant tout. Interroger l’Indien eût été inutile. Aussi Zermah cherchait-elle à s’orienter — chose difficile dans ces profondes ténèbres, tant que Squambô n’abandonnerait pas le milieu du Saint-John.

Le flot montait, et, sous la pagaie des deux noirs, on gagnait rapidement vers le sud.

Pourtant, combien il eût été nécessaire que Zermah laissât une trace de son passage, afin de faciliter les recherches de son maître ! Or, sur ce fleuve, c’était impossible. À terre, un lambeau de sa mante, abandonné à quelque buisson, aurait pu devenir le premier jalon d’une piste, qui, une fois reconnue, serait suivie jusqu’au bout. Mais à quoi eût servi de livrer au courant un objet appartenant à la petite fille ou à elle ? Pouvait-on espérer que le hasard le ferait arriver entre les mains de James Burbank ? Il fallait y renoncer, et se borner à reconnaître en quel point du Saint-John l’embarcation viendrait atterrir.

Une heure s’écoula dans ces conditions. Squambô n’avait pas prononcé une parole.

Les deux noirs pagayaient silencieusement. Aucune lumière n’apparaissait sur les berges, ni dans les maisons ni sous les arbres, dont la masse se dessinait confusément dans l’ombre.

En même temps que Zermah regardait à droite, à gauche, prête à saisir le moindre indice, elle songeait seulement aux dangers que courait la petite fille. De ceux qui pouvaient la menacer personnellement, elle ne se préoccupait même pas. Toutes ses craintes se concentraient sur cette enfant. C’était