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Page:Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/315

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derniers mots et dernier soupir.

quelques ignames poussaient çà et là ; le sol se bossuait de quatre à cinq sillons, creusés de main d’homme ; une pioche abandonnée était encore fichée dans la terre.

« La crique est donc habitée ?… demanda Gilbert.

— Il faut le croire, répondit Mars, ou, tout au moins, est-elle connue des quelques coureurs du pays, peut-être des Indiens nomades, qui y font pousser quelques légumes.

— Il ne serait pas impossible alors qu’ils eussent bâti des habitations… des cabanes…

— En effet, monsieur Gilbert, et, s’il s’en trouve une, nous saurons bien la découvrir. »

Il y avait grand intérêt à savoir quelles sortes de gens pouvaient fréquenter cette Crique-Noire, s’il s’agissait de chasseurs des basses régions, qui s’y rendaient secrètement, ou de Séminoles, dont les bandes fréquentent encore les marécages de la Floride.

Donc, sans songer au retour, Gilbert et Mars reprirent leur embarcation, et s’enfoncèrent plus profondément à travers les sinuosités de la crique. Il semblait qu’une sorte de pressentiment les attirât vers ses plus sombres réduits. Leurs regards, faits à l’obscurité relative que l’épaisse ramure entretenait à la surface des îlots, se plongeaient en toutes directions. Tantôt, ils croyaient apercevoir une habitation, et ce n’était qu’un rideau de feuillage, tendu d’un tronc à l’autre. Tantôt ils se disaient : « Voilà un homme, immobile, qui nous regarde ! » et il n’y avait là qu’une vieille souche bizarrement tordue, dont le profil reproduisait quelque silhouette humaine. Ils écoutaient alors… Peut-être ce qui ne leur arrivait pas aux yeux, arriverait-il à leurs oreilles ? Il suffisait du moindre bruit pour déceler la présence d’un être vivant en cette région déserte.

Une demi-heure après leur première halte, tous deux étaient arrivés près de l’îlot central. Le blockhaus en ruine s’y cachait si complètement au plus épais du massif qu’ils n’en pouvaient rien apercevoir. Il semblait même que la crique se terminait en cet endroit, que les passes obstruées devenaient innavigables. Là, encore une infranchissable barrière de halliers et de