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nord contre sud.

vingt à trente ans, les deux frères vécurent séparés. Ils cherchaient la fortune par tous les moyens. Ils ne se retrouvaient qu’à de rares intervalles, à l’abri de tout regard, soit en Amérique, soit dans quelque autre partie du monde où les avait entraînés leur destinée.

On sut aussi que l’un ou l’autre — lequel, on n’aurait pu le dire, peut-être tous les deux, — firent le métier de négriers. Ils transportaient ou plutôt faisaient transporter des cargaisons d’esclaves des côtes d’Afrique aux États du Sud de l’Union. Dans ces opérations, ils ne remplissaient que le rôle d’intermédiaires entre les traitants du littoral et les capitaines des bâtiments employés à ce trafic inhumain.

Leur commerce prospéra-t-il ? On ne sait. Pourtant, c’est peu probable. En tout cas, il diminua dans une proportion notable, et s’interrompit finalement, lorsque la traite, dénoncée comme un acte barbare, fut peu à peu abolie dans le monde civilisé. Les deux frères durent même renoncer à ce genre de trafic.

Cependant, cette fortune après laquelle ils couraient depuis si longtemps, qu’ils voulaient acquérir à tout prix, cette fortune n’était pas faite, et il fallait la faire. C’est alors que ces deux aventuriers résolurent de mettre à profit leur extraordinaire ressemblance.

En pareil cas, il arrive le plus souvent que ce phénomène se modifie lorsque les enfants sont devenus des hommes.

Pour les Texar, il n’en fut pas ainsi. À mesure qu’ils prenaient de l’âge, leur ressemblance physique et morale, on ne dira pas s’accentuait, mais restait ce qu’elle avait été — absolue. Impossible de distinguer l’un de l’autre, non seulement par les traits du visage ou la conformation du corps, mais aussi par les gestes ou les inflexions de la voix.

Les deux frères résolurent d’utiliser cette particularité naturelle pour accomplir les actes les plus détestables, avec la possibilité, si l’un d’eux était accusé, de pouvoir établir un alibi de nature à prouver son innocence. Aussi, pendant que l’un exécutait le crime convenu entre eux, l’autre se montrait-il publiquement en quelque lieu, de façon que, grâce à l’alibi, la non-culpabilité fût démontrée ipso facto.