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nord contre sud.

limiers féroces, importés des Caraïbes, qui furent autrefois employés par les Espagnols à la chasse aux nègres.

Voilà ce qu’était la demeure de Texar, et digne de lui. Voici maintenant ce qu’était l’homme.

Texar avait alors trente-cinq ans. Il était de taille moyenne, d’une constitution vigoureuse, trempée dans cette vie de grand air et d’aventures, qui avait toujours été la sienne. Espagnol de naissance, il ne démentait pas son origine. Sa chevelure était noire et rude, ses sourcils épais, ses yeux verdâtres, sa bouche large, avec des lèvres minces et rentrées, comme si elle eût été faite d’un coup de sabre, son nez court, percé de narines de fauve. Toute sa physionomie indiquait l’homme astucieux et violent. Autrefois, il portait sa barbe entière ; mais, depuis deux ans, après qu’elle eut été à demi brûlée d’un coup de feu dans on ne sait quelle affaire, il l’avait rasée, et la dureté de ses traits n’en était que plus apparente.

Une douzaine d’années avant, cet aventurier était venu se fixer en Floride, et dans ce blockhaus abandonné, dont personne ne songeait à lui disputer la possession. D’où venait-il ? on l’ignorait et il ne le disait point. Quelle avait été son existence antérieure ? on ne le savait pas davantage. On prétendait, — et c’était vrai, — qu’il avait fait le métier de négrier et vendu des cargaisons de noirs dans les ports de la Géorgie et des Carolines. S’était-il enrichi à cet odieux trafic ? Il n’y paraissait guère. En somme, il ne jouissait d’aucune estime, même dans un pays, où ne manquent cependant point les gens de sa sorte.

Néanmoins, si Texar était fort connu, bien que ce ne fût pas à son avantage, cela ne l’empêchait pas d’exercer une réelle influence dans le comté, et particulièrement à Jacksonville. Il est vrai, c’était sur la partie la moins recommandable de la population du chef-lieu. Il y allait souvent pour des affaires, dont il ne parlait pas. Il s’y était fait un grand nombre d’amis parmi les petits blancs et les plus détestables sujets de la ville. On l’a bien vu, lorsqu’il était revenu de Saint-Augustine en compagnie d’une demi-douzaine d’individus d’allure équivoque. Son influence s’étendait aussi jusque chez certains colons du Saint-John. Il les visitait quelquefois, et, si on ne lui rendait pas