— En aucune façon, monsieur. D’ailleurs, ce serait inutile et pour une raison bien simple.
— Laquelle ?
— C’est qu’au fond, vous pensez là-dessus exactement comme monsieur Burbank, monsieur Carrol, monsieur Stannard, comme tous ceux qui ont le cœur généreux et l’esprit juste.
— Jamais, Zermah, jamais ! Et je prétends même que ce que j’en dis, c’est dans l’intérêt des noirs ! Si on les livre à leur seule volonté, ils dépériront, et la race en sera bientôt perdue.
— Je n’en crois rien, monsieur Perry, quoique vous puissiez dire. En tout cas, mieux vaut que la race périsse que d’être vouée à la perpétuelle dégradation de l’esclavage ! »
Le régisseur eût bien voulu répondre, et on se doute qu’il n’était point à bout d’arguments. Mais la voile venait d’être amenée, et l’embarcation se rangea près de l’estacade de bois. Là, elle devait attendre le retour de Zermah et du régisseur. Tous deux débarquèrent aussitôt pour aller chacun à ses affaires.
Jacksonville est située sur la rive gauche du Saint-John, à la limite d’une vaste plaine assez basse, entourée d’un horizon de magnifiques forêts, qui lui font un cadre toujours verdoyant. Des champs de maïs et de cannes à sucre, des rizières, plus particulièrement à la limite du fleuve, occupent une partie de ce territoire.
Il y avait une dizaine d’années, Jacksonville n’était encore qu’un gros village, avec un faubourg, dont les cases de torchis ou de roseaux ne servaient qu’au logement de la population noire. À l’époque actuelle, le village commençait à se faire ville, autant par ses maisons plus confortables, ses rues mieux tracées et mieux entretenues, que par le nombre de ses habitants, qui avait doublé. L’année suivante, ce chef-lieu du comté de Duval allait gagner encore, en se reliant par un chemin de fer à Tallahassee, la capitale de la Floride.
Déjà, le régisseur et Zermah avaient pu le remarquer, une assez grande animation régnait dans la ville. Quelques centaines d’habitants, les uns,