Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
la ferme de kerwan.

Et que sont ces propriétés foncières auprès de celles des landlords de l’Écosse, un comte de Breadalbane, riche de quatre cent trente-cinq mille acres, M. J. Matheson, riche de quatre cent six mille acres, le duc de Sutherland, riche de douze cent mille acres — la superficie d’un comté tout entier ?

Ce qui est vrai, c’est que, depuis la conquête par les Anglo-Normands en 1100, « l’Île Sœur » a été traitée féodalement, et son sol est resté féodal.

Le duc de Rockingham était, à cette époque, un des grands landlords du comté de Kerry. Son domaine, d’une surface de cent cinquante mille acres, comprenait des terres cultivables, des prairies, des bois, des étangs, desservis par quinze cents fermes. C’était un étranger, un de ceux que les Irlandais accusent avec raison d’absentéisme. Or, la conséquence de cet absentéisme est que l’argent produit par le travail irlandais est envoyé au dehors et ne profite pas à l’Irlande.

La Verte Erin, il ne faut point l’oublier, ne fait pas partie de la Grande-Bretagne — dénomination uniquement applicable à l’Écosse et à l’Angleterre. Le duc de Rockingham était un lord écossais. À l’exemple de tant d’autres qui possèdent les neuf dixièmes de l’île, il n’avait jamais fait l’effort de venir visiter ses terres, et ses tenanciers ne le connaissaient pas. Sous condition d’une somme annuelle, il en abandonnait l’exploitation à ces traitants, ces « middlemen », qui en bénéficiaient en les louant par parcelles aux cultivateurs. C’est ainsi que la ferme de Kerwan dépendait, avec quelques autres, d’un certain John Eldon, agent du duc de Rockingham.

Cette ferme était de moyenne importance, puisqu’elle ne comptait qu’une centaine d’acres. Il est vrai, c’est un pays rude à la culture, celui qu’arrose le cours supérieur de la Cashen, et ce n’est pas sans un excessif labeur que le paysan parvient à lui arracher de quoi payer son fermage, surtout lorsque l’acre lui est loué au prix excessif d’une livre par an.

Tel était le cas de la ferme de Kerwan, dirigée par le fermier Mac Carthy.