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ce qui s’est passé au donegal.

P’tit-Bonhomme, et, nous l’avons vu, c’est ce qualificatif qui lui est resté.

Il était très probable, d’ailleurs, quoique Grip d’une part, miss Anna Waston de l’autre, dussent penser de lui, qu’il n’appartenait point à une famille riche, à laquelle on l’aurait volé. C’est bon pour les romans, cela !

Des trois produits de cette portée — n’est-ce pas le mot ? — remise à la garde de la mégère, P’tit-Bonhomme était le plus jeune — deux ans et neuf mois seulement — brun, avec des yeux brillants qui promettaient d’être énergiques un jour, si la mort ne les fermait pas prématurément, une constitution qui deviendrait robuste, si l’air méphitique de ce taudis, l’insuffisance de nourriture, ne frappaient pas son développement d’un rachitisme précoce. Toutefois, ce qu’il convient d’observer, c’est que ce petit, possédant une grande force de résistance vitale, devait opposer une endurance peu ordinaire à tant de causes de dépérissement. Toujours affamé, il ne pesait que la moitié de ce qu’il aurait dû peser à son âge. Toujours grelottant durant les longs hivers de l’Irlande, il ne portait, par-dessus sa chemise en lambeaux, qu’un vieux morceau de velours à côtes, auquel on avait fait deux trous pour ses bras. Mais ses pieds nus s’appuyaient carrément sur le sol, et il était solide des jambes. Les soins les plus élémentaires eussent vite donné sa valeur à cette délicate machine humaine, qui l’eût rendue plus tard en intelligence et en travail. Ces soins, il est vrai, à moins d’un concours inespéré de circonstances, où les aurait-il trouvés, et de quelle main pouvait-il les attendre ?…

Un seul mot sur la plus jeune des fillettes. Une fièvre lente la consumait. La vie se retirait d’elle comme l’eau d’un vase fêlé. Il lui eût fallu des remèdes, et les remèdes sont coûteux. Il lui eût fallu un médecin, et un médecin viendrait-il de Donegal pour une pauvre marmotte, née on ne sait où dans ce lamentable pays des enfants abandonnés ? Aussi la Hard ne pensait-elle pas qu’il y eût lieu de se déranger. Cette petite, une fois morte, la maison de charité lui en fournirait une autre, et elle ne perdrait rien des quelques shillings qu’elle s’essayait à gagner sur ces enfants.