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prime à gagner.

mit d’aplomb, et, au lieu de se fâcher, parut plutôt disposé à demander excuse de son importunité. Son salut eut l’air de s’adresser autant à l’immonde animal qu’à la non moins immonde matrone du cabin. Et, en vérité, pourquoi aurait-il été surpris de voir un cochon sortir de cette soue ?

« Que voulez-vous… et qui êtes-vous ? demanda brusquement la Hard, en barrant l’entrée.

— Je suis un agent, bonne dame », répondit l’homme.

Un agent ?… Ce mot la fit reculer. Cet agent appartenait-il au baby-farming, bien que les visites fussent si rares que jamais un inspecteur ne s’était encore montré au hameau de Rindok ? Venait-il de la maison de charité de Donegal pour un rapport sur les enfants envoyés à la campagne ? Quoi qu’il en soit, dès qu’il eut pénétré dans le taudis, la Hard se mit à l’étourdir de sa volubilité.

« Excuse, monsieur, excuse !… Vous arrivez quand je suis en train de nettoyer… Ces chers petits, voyez comme ils se portent !… Ils viennent d’avaler leur bonne pinte de soupe au gruau… La fillette et le garçon, s’entend… car l’autre est malade… oui… une fièvre qu’on ne peut pas arrêter… J’allais partir pour Donegal chercher un médecin… Pauvres cœurs, je les aime tant ! »

Et, avec sa physionomie sauvage, son œil farouche, la Hard avait l’air d’une tigresse qui s’efforcerait de se faire chatte.

« Monsieur l’inspecteur, reprit-elle, si la maison de charité m’accordait quelque argent afin d’acheter des remèdes… Nous n’avons que juste pour la nourriture…

— Je ne suis point un inspecteur, bonne dame, répondit l’homme d’un ton doucereux.

— Qui êtes-vous donc ?… demanda-t-elle assez durement.

— Un agent d’assurances. »

C’était un de ces courtiers qui fourmillent à travers les campagnes irlandaises comme les chardons sur les mauvaises terres. Ils courent les villages cherchant à assurer la vie des enfants, et, dans ces conditions, autant dire que c’est leur assurer la mort. Pour quelques pence