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Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/274

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à trelingar-castle.

et la marquise avaient fait présent au comte Ashton. Un jouet — le mot est juste. Il s’en amusait en enfant capricieux et fantasque. Il lui donnait des ordres déraisonnables la plupart du temps, puis il les contremandait sans motif. Il le sonnait dix fois par heure, afin qu’il rangeât ceci ou dérangeât cela. Il l’obligeait à revêtir sa grande ou sa petite livrée, aux couleurs multiples, où les boutons bourgeonnaient par centaines comme ceux d’un rosier au printemps. Notre jeune garçon ressemblait à un ara des tropiques. Le faire marcher derrière lui, à vingt pas, les bras tombant raides sur la couture du pantalon, non seulement dans les rues de la bourgade, mais à travers les allées du parc, c’était pour le vaniteux Ashton le comble de la satisfaction. P’tit-Bonhomme se soumettait à toutes ces fantaisies avec une irréprochable ponctualité. Il obéissait comme une machine aux volontés de son régulateur. Si vous l’aviez vu, les reins cambrés, les bras croisés sur la veste qui lui sanglait le torse, debout devant le cheval piaffant du cabriolet, attendant que son maître y fût monté, puis, lorsque le véhicule était déjà en marche, s’élançant, s’accrochant aux courroies de la capote, au risque de lâcher prise et de se casser le cou ! Et le cabriolet, mené par une main inhabile, roulait à fond de train, sans se soucier des bornes qu’il heurtait, ni des passants qu’il manquait d’écraser !… C’est qu’il était bien connu à Kanturk, l’équipage du comte Ashton !

Enfin, à la condition de se prêter, sans mot dire, à tous les caprices de son maître, P’tit-Bonhomme n’était pas autrement malheureux. Cela allait et irait tant que le joujou n’aurait pas cessé de plaire. Il est vrai, avec ce jeune gentleman si gâté, si quinteux, si personnel, il convenait de s’attendre à des revirements subits. Les enfants finissent toujours par se dégoûter de leurs jouets, et ils les rejettent, à moins qu’ils ne les brisent. Mais, qu’on le sache, P’tit-Bonhomme était bien résolu à ne point se laisser mettre en morceaux.

D’ailleurs, cette situation à Trelingar Castle, il ne la considérait que comme un pis-aller. Faute de mieux, il l’avait acceptée, espérant qu’une meilleure occasion de gagner sa vie lui serait offerte. Son