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p’tit-bonhomme.

Cette fois, le comte Ashton daigna accompagner le marquis et la marquise. Et si le groom fut de la partie, c’est que son maître l’avait chargé de son fusil et de son carnier. Jadis, ces bois nourrissaient nombre de sangliers et de cochons sauvages. À présent ces animaux ont presque tous disparu, laissant la place à ces grands daims rouges dont la race ne tardera pas à manquer aux forêts du Royaume-Uni.

Donc, le comte Ashton eût à coup sûr accompli quelque prouesse cynégétique, si ces daims, très défiants, eussent bien voulu venir à bonne portée. Grosse déception, et pourtant, deux des bateliers avaient fait le métier de rabatteurs, et P’tit-Bonhomme celui de chien de chasse. Aussi fut-il privé de voir la pittoresque cascade de Tore et une vieille abbaye de franciscains du XIIIe siècle, avec église et cloître en ruines, que Leurs Seigneuries eussent été mieux avisées de ne pas visiter.

En effet, ce cloître possède un if d’une venue extraordinaire, puisqu’il mesure quinze pieds de circonférence. Obéissant à je ne sais quelle fantaisie, peut-être pour conserver un souvenir de sa promenade à l’abbaye de Muckross, voici que la marquise eut l’idée de détacher une feuille de cet if. Déjà elle tendait la main vers l’arbre, lorsqu’elle fut arrêtée par un cri du guide :

« Que Votre Seigneurie prenne garde !…

— Prenne garde ?… répéta lord Piborne.

— Sans doute, mylord ! Si madame la marquise avait cueilli une de ces feuilles…

— Est-ce que cela est défendu par le propriétaire de Muckross Castle ? demanda le marquis d’un ton hautain.

— Non, monsieur le marquis, répondit le guide. Mais quiconque cueille une de ces feuilles meurt dans l’année…

— Même une marquise ?…

— Même une marquise ! »

Et, là-dessus, lady Piborne d’être si impressionnée qu’elle faillit se trouver mal. Un instant de plus, et elle avait arraché la feuille fatale. C’est que l’on ajoute foi à ces légendes dans l’Île Émeraude, on