vaguait sur les routes… Dans l’après-midi, il était arrivé en cet endroit, au bord de la Dripsey… il avait voulu se désaltérer… sans doute… le pied lui avait glissé… il était tombé dans le courant… et, faute de Birk entraîné par son instinct de sauveteur, il n’aurait pas tardé à disparaître au milieu des remous…
Il s’agissait de le rappeler à la vie, et c’est à cela que P’tit-Bonhomme employa tous ses soins.
Malheureuse et pitoyable créature ! Sa figure allongée, son corps maigre et décharné, disaient tout ce qu’il avait souffert — la fatigue, le froid, la faim. En le tâtant de la main, on sentait que son ventre était flasque comme un sac vidé. Par quel moyen lui faire reprendre connaissance ? Ah ! en le débarrassant de l’eau qu’il avait avalée, en opérant des pressions sur son estomac, en lui insufflant de l’air par la bouche… Oui… cela vint à l’idée de P’tit-Bonhomme… Quelques instants après, l’enfant respirait, il ouvrait les yeux, et ses lèvres laissaient échapper ces mots :
« J’ai faim… j’ai faim ! »
I am hungry ! c’est le cri de l’Irlandais, le cri de toute son existence, le dernier qu’il jette au moment de mourir !
P’tit-Bonhomme possédait encore quelques provisions. D’un peu de pain et de lard, il fit deux ou trois bouchées, il les introduisit entre les lèvres de l’enfant, et celui-ci les avala gloutonnement. Il fallut le modérer, il se fût étouffé. Ces choses entraient en lui comme l’air dans une bouteille où l’on aurait fait le vide.
Alors, se redressant, il sentit ses forces lui revenir. Ses regards se fixèrent sur P’tit-Bonhomme, il hésita, puis, le reconnaissant :
« Toi… toi ?… murmura-t-il.
— Oui… Tu te rappelles ?…
— Sur la route… je ne sais plus quand…
— Moi… je le sais… mon boy…
— Oh ! ne m’abandonne pas !…
— Non… non !… Je te reconduirai… Où allais-tu ?…
— Devant… devant moi…