Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
ragged-scool.

M. O’Bodkins. Lorsqu’ils ne sont plus ici, cela ne me regarde en aucune façon, et pourvu que mes livres soient à jour…

— Et puis, si la maladie les emporte, repartit le docteur en prenant sa canne et son chapeau, la perte ne sera pas grande, je suppose…

— D’accord, répliqua O’Bodkins. Je les inscrirai à la colonne des décès, et leur compte sera balancé. Or, quand un compte est balancé, il me semble que personne n’a lieu de se plaindre. »

Et le docteur s’en alla, après avoir serré la main de son interlocuteur.

M. O’Bodkins était le directeur de la « ragged-school » de Galway, petite ville située sur la baie et dans le comté du même nom, au sud-ouest de la province du Connaught. Cette province est la seule où les catholiques puissent posséder des propriétés foncières, et c’est là, comme dans le Munster, que le Gouvernement anglais prend à tâche de refouler l’Irlande non protestante.

On connaît le type d’original auquel se rapporte ce M. O’Bodkins, et il ne mérite pas d’être classé parmi les plus bienveillants de la race humaine. Un homme gros et court, un de ces célibataires qui n’ont pas eu de jeunesse et qui n’auront point de vieillesse, ayant toujours été ce qu’ils sont, ornés de cheveux qui ne tombent ni ne blanchissent, venus au monde avec des lunettes d’or et qu’on fera bien de leur laisser dans la tombe, n’ayant eu ni un ennui d’existence ni un souci de famille, possédant juste ce qu’il faut de cœur pour vivre, et qu’un sentiment d’amour, d’amitié, de pitié, de sympathie, n’a jamais su émouvoir. Il est de ces êtres ni bons ni méchants, qui passent sur terre sans faire le bien, mais sans faire le mal, et qui ne sont jamais malheureux — pas même du malheur des autres.

Tel était O’Bodkins, et, nous en conviendrons volontiers, il était précisément né pour être directeur d’une ragged-school.

Ragged-school, c’est l’école des déguenillés, et l’on a vu de quelle admirable exactitude, de quelle entente du doit et avoir témoignent les livres de M. O’Bodkins. Il avait pour aides, d’abord une vieille fu-