Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
451
et pourquoi pas ?…

Comment exprimer ce qui est inexprimable ? Comment peindre la scène qui suivit ? M. Martin, Murdock, Pat, Sim, ont pressé P’tit-Bonhomme entre leurs bras… Et maintenant, lui, il couvrait de baisers Martine et Kitty. Puis, saisissant la fillette, il l’enlève, il la dévore de baisers, il la présente à Sissy, à Grip, à Bob, en s’écriant :

« Ma Jenny… ma filleule ! »

Après ces marques d’effusion, on s’assît sur les pierres éboulées, au fond de la cour. On causa. Les Mac Carthy durent raconter leur lamentable histoire. À la suite de l’éviction, on les avait conduits à Limerick, où Murdock fut condamné à la prison pour quelques mois. Sa peine achevée, M. Martin et la famille s’étaient rendus à Belfast. Un navire d’émigrants les avait transportés en Australie, à Melbourne, où Pat, abandonnant son métier, n’avait pas tardé à les rejoindre. Et alors, que de démarches, que de peines pour n’aboutir à rien, cherchant de l’ouvrage, de ferme en ferme, tantôt travaillant ensemble, mais dans quelles conditions déplorables ! tantôt séparés les uns des autres, au service des éleveurs. Et enfin, après cinq ans, ils avaient pu quitter cette terre, aussi dure pour eux que l’avait été leur terre natale !

Avec quelle émotion P’tit-Bonhomme regardait ces pauvres gens, M. Martin, vieilli, Murdock, aussi sombre qu’il l’avait connu, Pat et Sim, épuisés par la fatigue et les privations, Martine, n’ayant plus rien de la fermière alerte et vive qu’elle était quelques années avant, Kitty, qu’une fièvre permanente semblait miner, et Jenny, à demi étiolée par tant de souffrances déjà subies à son âge !… C’était à fendre le cœur.

Sissy, près des deux fermiers et de la fillette, mêlait ses larmes aux leurs et essayait de les consoler, leur disant :

« Vos malheurs sont finis, madame Martine… finis comme les nôtres… et grâce à votre enfant d’adoption…

— Lui ?… s’écria Martine. Et que pourrait-il ?…

— Toi… mon garçon ?… » répéta M. Martin.

P’tit-Bonhomme était incapable de répondre, tant l’émotion le suffoquait.