Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
p’tit-bonhomme.

possédait une mère, et même la foule assurait que ce devait être une grande dame qui venait de reconnaître son fils au milieu de l’incendie de la ragged-school.

Après avoir salué, en s’inclinant, le public qui l’applaudissait, miss Anna Waston avait disparu, emportant son trésor, malgré tout ce que lui disait sa femme de chambre. Que voulez-vous ? Il ne faut pas demander à une comédienne, âgée de vingt-neuf ans, à la chevelure ardente, à la coloration chaude, aux regards dramatiques — et tant soit peu écervelée — de maîtriser ses sentiments, de se maintenir en une juste mesure, comme le faisait Élisa Corbett, à l’âge de trente-sept ans, une blonde, froide et fade, depuis plusieurs années au service de sa fantasque maîtresse. Il est vrai, la caractéristique de l’actrice était de se croire toujours en représentation sur un théâtre, aux prises avec les péripéties de son répertoire. Pour elle, les circonstances les plus ordinaires de la vie étaient des « situations », et lorsque la situation est là…

Il va sans dire que la voiture étant arrivée à temps à la gare, le cocher reçut la guinée promise. Et maintenant, miss Anna Waston, seule avec Élisa, au fond d’un compartiment de première classe, pouvait s’abandonner à toutes ces effusions dont le cœur d’une véritable mère eût été rempli.

« C’est mon enfant !… mon sang… ma vie ! répétait-elle. On ne me l’arrachera pas ! »

Entre nous, qui eût pu songer à lui arracher ce petit abandonné, sans famille ?

Et Élisa de se dire :

« Nous verrons ce que cela durera ! »

Le train roulait alors à petite vitesse vers Artheury-jonction, en traversant le comté de Galway qu’il met en communication avec la capitale de l’Irlande. Pendant cette première partie du trajet — une douzaine de milles — P’tit-Bonhomme n’avait point repris connaissance, malgré les soins assidus et les phrases traditionnelles de le comédienne.