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p’tit-bonhomme.

« Il ne revient pas à lui, cet ange ? ne cessait de s’écrier miss Anna Waston.

— Voulez-vous que je vous dise, madame ?…

— Dis, Élisa, dis, de grâce !…

— Eh bien… je crois qu’il dort ! »

Et c’était vrai.

On traversa Dromor, Ennis qui est la capitale du comté, où le train arriva vers minuit, puis Clare, puis New-Market, puis Six-Miles, la frontière enfin, et, à cinq heures du matin, le train entrait en gare de Limerick.

Non seulement P’tit-Bonhomme avait dormi pendant tout le trajet, mais miss Anna Waston avait fini par succomber au sommeil, et, lorsqu’elle se réveilla, elle s’aperçut que son protégé la regardait en ouvrant de grands yeux.

Et, alors, de l’embrasser en répétant :

« Il vit !… il vit !… Dieu, qui me l’a donné, n’aurait pas eu la cruauté de me le reprendre ! »

Élisa voulut bien convenir que Dieu n’aurait pu être cruel à ce point, et voilà comment il advint que notre petit garçon passa presque sans transition du galetas de la ragged-school au bel appartement que miss Anna Waston, en représentation au théâtre de Limerick, occupait au Royal-George-Hotel.

Un comté qui a vaillamment marqué dans l’histoire de l’Irlande, ce comté de Limerick où s’organisa la résistance des catholiques contre l’Angleterre protestante. Sa capitale, fidèle à la dynastie jacobite, tint tête au redoutable Cromwell, subit un siège mémorable, puis, abattue par la famine et les maladies, noyée dans le sang des exécutions, finit par succomber. Là fut signé le traité qui porte son nom, lequel assurait aux catholiques irlandais l’égalité des droits civils et le libre exercice de leur culte. Il est vrai, ces dispositions furent outrageusement violées par Guillaume d’Orange. Il fallut reprendre les armes, après de longues et cruelles exactions ; mais, malgré leur valeur, et bien que la Révolution française eût envoyé