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limerick.

De là, le profond trouble de son imagination enfantine. Il ne savait plus que penser. Il en rêvait la nuit, comme si le sombre drame eût continué, et alors c’étaient des cauchemars effrayants, auxquels se mêlaient le montreur de marionnettes, ce gueux de Carker, les autres mauvais garnements de l’école ! Il se réveillait, trempé de sueur, et n’osait appeler…

On sait combien les Irlandais sont passionnés pour les exercices de sport, et en particulier pour les courses de chevaux. Ces jours-là, il y a un envahissement de Limerick, de ses places, de ses rues, de ses hôtels, par la « gentry » des environs, et les fermiers qui désertent leurs fermes, et les misérables de toute espèce qui sont parvenus à économiser un shilling ou un demi-shilling pour le mettre sur un cheval.

Or, quinze jours après son arrivée, P’tit-Bonhomme eut l’occasion d’être exhibé au milieu d’un concours de ce genre. Quelle toilette il portait ! On eût juré un bouquet plutôt qu’un bébé, tant il était fleuri de la tête aux pieds — un bouquet que miss Anna Waston faisait admirer, on pourrait même dire respirer à ses amis et connaissances !

Enfin, il faut bien prendre cette créature pour ce qu’elle est, un peu extravagante, un peu détraquée, mais bonne et compatissante, quand elle trouvait le moyen de l’être avec quelque apparat. Si les attentions dont elle comblait l’enfant étaient visiblement théâtrales, si ses baisers ressemblaient aux baisers conventionnels de la scène qui ne viennent que des lèvres, ce n’était pas P’tit-Bonhomme qui eût été capable d’en saisir la différence. Et pourtant, il ne se sentait pas aimé comme il l’aurait voulu, et peut-être se disait-il, sans en avoir conscience, ce que ne cessait de répéter Élisa :

« Nous verrons bien ce que cela durera… en admettant que cela dure ! »