Aller au contenu

Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
p’tit-bonhomme.

— Et nous avons le temps, madame ! »

Rien de plus juste, on avait le temps, et si P’tit-Bonhomme, quoi qu’en eût dit Élisa, montrait des dispositions pour le théâtre, tout irait à merveille.

En attendant, il vint à miss Waston une fameuse idée — une de ces idées wastoniennes dont elle semblait avoir le secret. C’était de faire prochainement débuter l’enfant sur la scène de Limerick.

Le faire débuter ?… s’écriera-t-on. Mais c’est plus qu’une écervelée, cette étoile du drame moderne, c’est une folle à mettre à Bedlam !

Folle ?… Non, pas au sens propre du mot. D’ailleurs, « et pour cette fois seulement », comme disent les affiches, son idée n’était pas une mauvaise idée.

Miss Anna Waston répétait alors une « machine » à gros effets, une de ces pièces de résistance qui ne sont point rares dans le répertoire anglais. Ce drame ou plutôt ce mélodrame, intitulé Les Remords d’une mère, avait déjà extrait des yeux de toute une génération assez de larmes pour alimenter les fleuves du Royaume-Uni.

Or, dans cette œuvre du dramaturge Furpill, il y avait, c’était de règle, un rôle d’enfant — l’enfant que la mère ne pouvait garder, qu’elle avait dû abandonner un an après sa naissance, qu’elle retrouvait misérable, qu’on voulait lui ravir, etc.

Il va de soi que ce rôle était un rôle muet. Le petit figurant qui le jouerait n’aurait qu’à se laisser faire, c’est-à-dire se laisser embrasser, caresser, presser sur un sein maternel, tirer d’un côté, tirer de l’autre, sans jamais prononcer une parole.

Est-ce que notre héros n’était pas tout indiqué pour remplir ce rôle ? Il avait l’âge, il avait la taille, il montrait une figure pâle encore et des yeux qui avaient souvent pleuré. Quel effet, lorsqu’on le verrait sur les planches et précisément auprès de sa mère adoptive ! Avec quel emportement, quel feu, celle-ci enlèverait la scène Ve du troisième acte, la grande scène, lorsqu’elle défend son fils au moment où l’on veut l’arracher de ses bras ! Est-ce que la situation imaginaire ne serait pas doublée d’une situation réelle ? Est-ce