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Page:Verne - Robur le conquérant, Hetzel, 1904.djvu/165

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― Ce doit être quelque île perdue de l’Océan Pacifique, avec une colonie de scélérats, dignes de leur chef.

― C’est mon avis, Phil Evans. Je crois, en effet, qu’il songe à laisser porter dans l’ouest, et, avec la vitesse dont il dispose, il aura rapidement atteint son but.

― Mais nous ne pourrons plus mettre nos projets à exécution… s’il y arrive…

― Il n’y arrivera pas, Phil Evans ! »

Évidemment, les deux collègues avaient en partie deviné les plans de l’ingénieur. Pendant cette journée, il ne fut plus douteux que l’Albatros, après s’être avancé vers les limites de la mer Antarctique, allait définitivement rétrograder. Lorsque les glaces auraient envahi ces parages jusqu’au cap Horn, toutes les basses régions du Pacifique seraient couvertes d’icefields et d’icebergs. La banquise formerait alors une barrière impénétrable aux plus solides navires comme aux plus intrépides navigateurs.

Certes, en battant plus rapidement de l’aile, l’Albatros pouvait franchir les montagnes de glace, accumulées sur l’Océan, puis les montagnes de terre, dressées sur le continent du pôle ― si c’est un continent qui forme la calotte australe. Mais, affronter, au milieu de la nuit polaire, une atmosphère qui peut se refroidir jusqu’à soixante degrés au-dessous de zéro, l’eût-il donc osé ? Non, sans doute !

Aussi, après s’être avancé une centaine de kilomètres dans le sud, l’Albatros obliqua-t-il vers l’ouest, de manière à prendre direction sur quelque île inconnue des groupes du Pacifique.

Au-dessous de lui s’étendait la plaine liquide, jetée entre la terre américaine et la terre asiatique. En ce moment, les eaux avaient pris cette couleur singulière qui leur fait donner le nom de « mer de lait. » Dans la demi-ombre que ne parvenaient plus à dissiper les rayons affaiblis du soleil, toute la surface du Pacifique était d’un blanc laiteux. On eût dit d’un vaste champ de neige dont les ondulations n’étaient pas sensibles, vues de cette hauteur. Cette portion de mer eût été solidifiée par le froid, convertie en un immense icefield, que son aspect n’eût pas été différent.