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Page:Verne - Robur le conquérant, Hetzel, 1904.djvu/84

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La vitesse ne s’était pas modifiée depuis la veille. Étant donné la direction du vent qui soufflait de l’est, cette vitesse n’était pas gênante, et, comme le thermomètre ne baisse que d’un degré par cent soixante-dix mètres d’élévation, la température était très supportable. Aussi, tout en réfléchissant, en causant, en attendant l’ingénieur, Uncle Prudent et Phil Evans se promenaient-ils sous ce qu’on pourrait appeler la ramure des hélices, entraînées alors dans un mouvement giratoire tel que le rayonnement de leurs branches se fondait en un disque semi-diaphane.

L’état d’Illinois fut ainsi franchi sur sa frontière septentrionale en moins de deux heures et demie. On passa au-dessus du Père des Eaux, le Mississippi, dont les steam-boats à deux étages ne paraissaient pas plus grands que des canots. Puis, l’Albatros se lança sur l’Iowa, après avoir entrevu Iowa-City vers onze heures du matin.

Quelques chaînes de collines, des « bluffs », serpentaient à travers ce territoire, en obliquant du sud au nord-ouest. Leur médiocre altitude n’exigea aucun relèvement de l’aéronef. D’ailleurs, ces bluffs ne devaient pais tarder à s’abaisser pour faire place aux larges plaines de l’Iowa, étendues sur toute sa partie occidentale et sur le Nebraska, ― prairies immenses qui se développent jusqu’au pied des montagnes Rocheuses. Çà et là, nombreux rios, affluents ou sous-affluents du Missouri. Sur leurs rives, villes et villages, d’autant plus rares que l’Albatros s’avançait plus rapidement au-dessus du Far-West.

Rien de particulier ne se produisit pendant cette journée. Uncle Prudent et Phil Evans furent absolument livrés à eux-mêmes. C’est à peine s’ils aperçurent Frycollin, étendu à l’avant, fermant les yeux pour ne rien voir. Et cependant, il n’était pas en proie au vertige, comme on pourrait le penser. Faute de repères, ce vertige n’aurait pu se manifester ainsi qu’il arrive au sommet d’un édifice élevé. L’abîme n’attire pas quand on le domine de la nacelle d’un ballon ou de la plate-forme d’un aéronef, ou, plutôt, ce n’est pas un abîme qui se creuse au-dessous de l’aéronaute, c’est l’horizon qui monte et l’entoure de toutes parts.

À deux heures, l’Albatros passait au-dessus d’Omaha, sur la frontière du