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le numéro 9672.

plement par la dernière lettre que la Marine lui avait adressée à Dal. En effet, cette lettre, — la dernière qu’il eût reçue et dont il n’avait parlé à personne, — en renfermait une seconde, datée de Christiansand. Cette seconde lettre lui apprenait ceci : le brick danois Génius, capitaine Kroman, venait de relâcher à Christiansand, ayant à son bord les survivants du Viken, entre autres le jeune maître Ole Kamp, et, trois jours après, il devait arriver à Christiania.

La lettre de la Marine ajoutait que ces naufragés avaient tellement souffert qu’ils étaient encore dans un extrême état de faiblesse. C’est pourquoi Sylvius Hog n’avait rien voulu dire à Hulda du retour de son fiancé. Aussi, dans sa réponse, avait-il demandé le plus profond secret sur ce retour, secret qui avait été soigneusement gardé vis-à-vis du public.

Si l’aviso Telegraf n’avait retrouvé ni aucune épave ni aucun survivant du Viken, cela est facile à expliquer.

Pendant une violente tempête, le Viken, à demi désemparé, avait été forcé de fuir dans le nord-ouest, lorsqu’il se trouvait à deux cents milles au sud de l’Islande. Durant la nuit du 3 au 4 mai – nuit de rafales – il vint se heurter contre un de ces énormes icebergs en dérive, qui sortaient des mers du Groënland. La collision fut terrible, et si terrible que, cinq minutes après, le Viken allait couler à pic.

C’est alors que Ole avait écrit ce document. Il avait tracé sur ce billet de loterie un dernier adieu à sa fiancée ; puis, il l’avait jeté à la mer, après l’avoir enfermé dans une bouteille.

Mais la plupart des hommes de l’équipage du Viken, y compris le capitaine, avaient péri au moment de la collision. Seuls, Ole Kamp et quatre de ses camarades purent sauter sur un débris de l’iceberg, au moment où s’engloutissait le Viken. Pourtant, leur mort n’eût été que retardée, si cette épouvantable bourrasque n’eût poussé le banc de glace dans le nord-ouest. Deux jours après, épuisés, mourant de faim, les cinq survivants du naufrage étaient jetés sur la côte sud du Groënland, côte déserte, où ils vécurent à la grâce de Dieu.

Là, s’ils n’étaient secourus sous quelques jours, c’en était fait d’eux.