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le numéro 9672.

de leur être très pénible. D’ailleurs, dame Hansen ne demandait pas volontiers aide ou conseil, étant absolument convaincue de la sûreté de son jugement – très norvégienne sous ce rapport.

Dame Hansen comptait alors cinquante ans. L’âge, s’il avait blanchi ses cheveux, n’avait point courbé sa haute taille, ni amoindri la vivacité de son regard d’un bleu intense, dont l’azur se retrouvait inaltéré dans les yeux de sa fille. Seul son teint avait pris la nuance jaunâtre d’un vieux papier de procédure, et quelques rides commençaient à sillonner son front.

La « madame », comme on dit en pays scandinave, était invariablement vêtue d’une jupe noire à gros plis, en signe du deuil qu’elle ne quittait plus depuis la mort de Harald. Des entournures de son corsage brunâtre sortaient les manches d’une chemise en coton écru. Un fichu de couleur sombre se croisait sur sa poitrine que recouvrait le montant du tablier rattaché en arrière par de larges agrafes. Elle était toujours coiffée d’un épais bonnet de soie, sorte de béguin qui tend à disparaître des modes du jour. Assise droite, dans le fauteuil de bois, la grave hôtesse de Dal n’abandonnait son rouet que pour fumer une petite pipe en écorce de bouleau, dont les vapeurs l’entouraient d’un léger nuage.

En vérité, peut-être la maison eût-elle semblé bien triste sans la présence des deux enfants !

Un brave garçon, Joël Hansen ! Vingt-cinq ans, bien découplé, de haute taille, comme les montagnards norvégiens, l’air fier, sans forfanterie, l’allure hardie, sans témérité. C’était un blond presque châtain, avec des yeux bleus presque noirs. Son costume faisait valoir ses puissantes épaules qui ne pliaient pas aisément, sa large poitrine dans laquelle fonctionnaient à l’aise les poumons du guide des montagnes, ses bras vigoureux, ses jambes faites aux plus pénibles ascensions des hauts fields du Telemark. En tenue habituelle, on eût dit un cavalier. Sa jaquette bleuâtre, avec épaulettes, serrée à la taille, se croisait sur la poitrine par deux longues pattes verticales et s’agrémentait dans le dos de dessins en couleurs, semblable à certaines vestes celtiques de la Bretagne. Son col de chemise s’évasait en entonnoir. Sa culotte jaune se rattachait au-dessous du genou par une jarretière à boucle. Sur sa