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le numéro 9672.

neigeuses du Gousta jetaient dans l’espace un intense rayonnement de lumière.

Pendant une heure, la kariol marcha assez rapidement. La montée était insensible encore. Mais bientôt le val se rétrécit peu à peu. De part et d’autre les rios se changèrent en fougueux torrents. Bien que le chemin devînt sinueux, il ne pouvait éviter toutes les dénivellations du sol. De là, des passages vraiment durs, dont Joël se tirait avec adresse. Près de lui, d’ailleurs, Hulda ne craignait rien. Quand le cahot était trop accentué, elle s’accrochait à son bras. La fraîcheur du matin colorait sa jolie figure, bien pâle depuis quelque temps.

Cependant, il fallut encore atteindre une altitude plus élevée. La vallée ne donnait guère passage qu’au cours resserré du Maan, entre deux murailles coupées à pic. Sur les fields voisins apparaissaient une vingtaine de maisons isolées, des ruines de sœters ou de gaards, livrées à l’abandon, des cabanes de pâtres, perdues entre les bouleaux et les hêtres. Bientôt il ne fut plus possible de voir la rivière ; mais on l’entendait mugir dans le sonore encaissement des roches. La contrée avait pris un aspect grandiose et sauvage à la fois, en élargissant son cadre jusqu’à la crête des montagnes.

Après deux heures de marche, une scierie se montra sur le bord d’une chute de quinze cents pieds, utilisée pour le mécanisme de sa double roue. Les cascades qui ont cette hauteur ne sont point rares dans le Vestfjorddal ; mais le volume de leurs eaux est peu considérable. C’est en cela que l’emporte celle du Rjukanfos.

Joël et Hulda, arrivés à la scierie, mirent pied à terre.

« Une demi-heure de marche ne te fatiguera pas trop, petite sœur ? dit Joël.

– Non, frère, je ne suis point lasse, et même cela me fera du bien de marcher un peu.

– Un peu… beaucoup, et toujours en montant !

– Je m’appuierai à ton bras, Joël ! »

Là, en effet, il avait fallu abandonner la kariol. Elle n’aurait pu franchir les sentiers ardus, les passes étroites, les talus semés de roches branlantes, dont les capricieux contours, ombragés d’arbres ou dénudés, annoncent la grande chute. Mais, déjà, s’élevait une sorte de vapeur épaisse au milieu d’un bleuâtre