Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
197
HARRIS ET NEGORO

ami, et, entre nous, je suis obligé d’avouer que c’est, en son genre, un garçon solide !

— Si solide qu’il soit, Harris, il me payera cher ses insolences, répondit Negoro, dont la physionomie s’imprégnait d’une implacable cruauté.

— Bon, murmura Harris, mon camarade est bien resté tel que je l’ai toujours connu ! Les voyages ne l’ont pas déformé ! »

Puis après un instant de silence :

« Ah çà, Negoro, reprit-il, lorsque je t’ai si inopinément rencontré là-bas, sur le théâtre du naufrage, à l’embouchure de la Longa, tu n’as eu que le temps de me recommander ces braves gens, en me priant de les conduire aussi loin que possible à travers cette prétendue Bolivie, mais tu ne m’as pas dit ce que tu avais fait depuis deux ans ! Deux ans, dans notre existence accidentée, c’est long, camarade ! Un beau jour, après avoir pris la conduite d’une caravane d’esclaves pour le compte du vieil Alvez, dont nous ne sommes que les très humbles agents, tu as quitté Cassange et l’on n’a plus entendu parler de toi ! J’ai pensé que tu avais eu quelques désagréments avec la croisière anglaise et que tu étais pendu !

— Il s’en est guère fallu, Harris.

— Ça viendra, Negoro.

— Merci !

— Que veux-tu ? répondit Harris avec une indifférence toute philosophique, c’est une des chances du métier ! On ne fait pas la traite sur la côte d’Afrique, sans risquer de mourir ailleurs que dans son lit ! Enfin, tu as été pris ?…

— Oui.

— Par les Anglais !

— Non ! Par les Portugais.

— Avant ou après avoir livré ta cargaison ? demanda Harris.

— Après… répliqua Negoro, qui avait légèrement hésité à répondre. Ces Portugais font maintenant les difficiles ! Ils ne veulent plus de l’esclavage, bien qu’ils en aient si longtemps usé à leur profit ! J’étais dénoncé, surveillé. On m’a pris…

— Et condamné ?…

À finir mes jours dans le pénitentiaire de Saint-Paul de Loanda.

— Mille diables ! s’écria Harris. Un pénitentiaire ! Voilà un lieu malsain pour des gens habitués comme nous le sommes à vivre au grand air ! Moi, j’aurais peut-être préféré être pendu !