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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

— Tout autre s’y serait trompé, Negoro.

— Je le sais, Harris, et je comptais bien exploiter cette erreur. Enfin, voilà mistress Weldon et ses compagnons à cent milles dans l’intérieur de cette Afrique où je voulais les entraîner !

— Mais, répondit Harris, ils savent maintenant où ils sont !

— Eh ! qu’importe à présent ! s’écria Negoro.

— Et qu’en feras-tu ? demanda Harris.

— Ce que j’en ferai ! répondit Negoro… Avant de te le dire, Harris, donne-moi donc des nouvelles de notre maître le traitant Alvez que je n’ai pas vu depuis deux ans !

— Oh ! le vieux coquin se porte à merveille ! répondit Harris, et il sera enchanté de te revoir.

— Est-il au marché de Bihé ? demanda Negoro.

— Non, camarade, depuis un an, il est à son établissement de Kazonndé.

— Et les affaires vont-elles ?

— Oui, mille diables ! s’écria Harris, quoique la traite devienne de plus en plus difficile, au moins sur ce littoral. Les autorités portugaises d’un côté, les croisières anglaises de l’autre, voilà qui gêne les exportations. Il n’y a guère qu’aux environs de Mossamedès, au sud de l’Angola, que l’embarquement des noirs puisse se faire maintenant avec quelque chance de succès. Aussi, en ce moment, les baracons sont-ils remplis d’esclaves, attendant les navires qui doivent les charger pour les colonies espagnoles. Quant à les passer par Benguela ou Saint-Paul de Loanda, ce n’est pas possible. Les gouverneurs n’entendent plus raison, et les chéfès[1] pas davantage. Il faudra donc se retourner vers les factoreries de l’intérieur, et c’est ce que compte faire le vieil Alvez. Il ira du côté de N’yangwé et du Tanganyika, échanger ses étoffes contre de l’ivoire et des esclaves. Les affaires sont toujours fructueuses avec la haute Égypte et la côte de Mozambique qui fournit tout Madagascar. Mais le temps viendra, je le crains, où la traite ne pourra plus s’opérer. Les Anglais font de grands progrès à l’intérieur de l’Afrique. Les missionnaires s’avancent et marchent contre nous ! Ce Livingstone, que Dieu confonde ! après avoir achevé d’explorer la région des lacs, va, dit-on, se diriger vers l’Angola. Puis, on parle d’un lieutenant Cameron qui se propose de traverser le continent de l’est à l’ouest. On craint aussi que l’Américain Stanley ne veuille en faire autant ! Toutes ces visites finiront par nuire à nos opérations, Negoro, et si nous avons le sentiment de nos intérêts, pas un de ces visiteurs ne revien-

  1. Titre que l’on donne aux gouverneurs portugais des établissements secondaires.