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LEÇON SUR LES FOURMIS DANS UNE FOURMILIÈRE

— Et ceux qui ont construit cette fourmilière ?… demanda Dick Sand.

— Ce sont les belliqueux ! répondit cousin Bénédict, qui prononça ce nom comme il eût fait des Macédoniens ou autre peuple antique, brave à la guerre. Oui ! des belliqueux et de toute taille ! Entre Hercule et un nain, la différence serait moindre qu’entre le plus grand de ces insectes et le plus petit. S’il y a parmi eux des ouvriers longs de cinq millimètres, des soldats longs de dix, des mâles et des femelles longs de vingt, on y rencontre aussi une espèce bien autrement curieuse, des « sirafous », longs d’un demi-pouce, qui ont des tenailles pour mandibules, et une tête plus grosse que le corps, comme des requins ! Ce sont les requins des insectes, et entre des sirafous et un requin aux prises, je parierais pour les sirafous !

— Et où observe-t-on plus communément ces sirafous ? demanda alors Dick Sand.

— En Afrique, répondit cousin Bénédict, dans les provinces centrales et méridionales. L’Afrique est, par excellence, le pays des fourmis. Il faut lire ce qu’en dit Livingstone dans les dernières notes rapportées par Stanley ! Plus heureux que moi, le docteur a pu assister à une bataille homérique, livrée entre une armée de fourmis noires et une armée de fourmis rouges. Celles-ci, qu’on appelle « drivers », et que les indigènes nomment sirafous, furent victorieuses. Les autres, les « tchoungous », prirent la fuite, emportant leurs œufs et leurs jeunes, non sans s’être courageusement défendues. Jamais, au dire de Livingstone, jamais l’humeur batailleuse n’a été portée plus loin, ni chez l’homme, ni chez la bête ! Avec leur tenace mandibule qui arrache le morceau, ces sirafous font reculer l’homme le plus brave. Les plus gros animaux eux-mêmes, lions, éléphants, fuient devant elles. Rien ne les arrête, ni arbres qu’elles escaladent jusqu’à la cime, ni ruisseaux qu’elles franchissent en se faisant un pont suspendu de leurs propres corps accrochés les uns aux autres ! Et nombreuses ! Un autre voyageur africain, Du Chaillu, a vu défiler pendant douze heures une colonne de ces fourmis, qui pourtant ne s’attardaient pas en route ! Pourquoi s’étonner, d’ailleurs, à la vue de tant de myriades ? La fécondité des insectes est surprenante, et pour en revenir à nos termites belliqueux, on a constaté qu’une femelle pondait jusqu’à soixante mille œufs par jour ! Aussi ces névroptères fournissent-ils aux indigènes une nourriture succulente. Des fourmis grillées, mes amis, je ne sais rien de meilleur au monde !

— En avez-vous donc mangé, monsieur Bénédict ? demanda Hercule.

— Jamais, répondit le savant professeur, mais j’en mangerai.