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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Dick Sand avait été placé presque à l’arrière du convoi. Il ne pouvait apercevoir ni Tom, ni ses compagnons, ni Nan. La tête de la longue caravane n’était visible pour lui que lorsqu’elle traversait quelque plaine. Il marchait, livré aux plus tristes pensées, auxquelles les cris des agents l’arrachaient à peine. Il ne pensait ni à lui-même, ni aux fatigues qu’il lui faudrait supporter encore, ni aux tortures que Negoro lui réservait peut-être ! Il ne songeait qu’à Mrs Weldon. Il cherchait en vain sur le sol, aux épines des sentiers, aux basses branches des arbres, s’il ne trouverait pas quelque trace de son passage. Elle n’avait pu prendre un autre chemin, si, comme tout portait à le croire, on l’entraînait à Kazonndé. Que n’eût-il pas donné pour retrouver quelque indice de sa marche vers le but où on les conduisait eux-mêmes !

Telle était la situation de corps et d’esprit du jeune novice et de ses compagnons. Mais, quelque sujet qu’ils eussent de craindre pour eux-mêmes, si grandes que fussent leurs propres souffrances, la pitié l’emportait en eux, à voir l’effroyable misère de ce triste troupeau de captifs et la révoltante brutalité de leurs maîtres. Hélas ! ils ne pouvaient rien pour secourir les uns, rien pour résister aux autres !

Tout le pays situé dans l’est de la Coanza n’était qu’une forêt sur un parcours d’une vingtaine de milles. Les arbres, cependant, soit qu’ils dépérissent sous la morsure des nombreux insectes de ces contrées, soit que les troupes d’éléphants les abattent lorsqu’ils sont jeunes encore, y étaient moins pressés que dans la contrée voisine du littoral. La marche sous bois ne devait donc pas être entravée, et les arbustes eussent été plus gênants que les arbres. Il y avait en effet abondance de ces cotonniers, hauts de sept à huit pieds, dont le coton sert à fabriquer les étoffes rayées de noir et de blanc en usage dans l’intérieur de la province.

En de certains endroits, le sol se transformait en épaisses jungles dans lesquelles le convoi disparaissait. De tous les animaux de la contrée, seuls les éléphants et les girafes eussent dominé de la tête ces roseaux qui ressemblent à des bambous, ces herbes dont la tige mesure un pouce de diamètre. Il fallait que les agents connussent merveilleusement le pays pour ne pas s’y perdre.

Chaque jour, la caravane partait dès l’aube et ne faisait halte qu’à midi, pendant une heure. On ouvrait alors quelques ballots contenant du manioc, et cet aliment était parcimonieusement distribué aux esclaves. On y joignait des patates, ou de la viande de chèvre et de veau, lorsque les soldats avaient pillé en passant quelque village. Mais la fatigue avait été telle, le repos si insuffisant, si